Discours du vieillard, Supplément au voyage de Bougainville, Diderot : analyse

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le discours du vieillard supplément au voyage de bougainville

L’extrait étudié va de «  Pleurez malheureux tahitiens  » jusqu’à «  à vertus chimériques  » .

« Le discours du vieillard », Supplément au Voyage de Bougainville, introduction :

Le Supplément au voyage de Bougainville s’inspire du voyage réel de l’explorateur Bougainville en Océanie et de son récit Voyage autour du monde, dans lequel est évoquée la colère du vieux tahitien.

Diderot, l’un des plus célèbres philosophes des lumières , choisit de mettre en avant le point de vue des tahitiens pour dénoncer les vices de la société européenne à travers le discours d’un vieux tahitien, qui parle au nom de la communauté.

Extrait étudié

Pleurez, malheureux Tahitiens ! pleurez ; mais que ce soit de l’arrivée, et non du départ de ces hommes ambitieux et méchants : un jour, vous les connaîtrez mieux. Un jour, ils reviendront, le morceau de bois que vous voyez attaché à la ceinture de celui-ci, dans une main, et le fer qui pend au côté de celui-là, dans l’autre, vous enchaîner, vous égorger, ou vous assujettir à leurs extravagances et à leurs vices ; un jour vous servirez sous eux, aussi corrompus, aussi vils, aussi malheureux qu’eux. Mais je me console ; je touche à la fin de ma carrière ; et la calamité que je vous annonce, je ne la verrai point. O Tahitiens ! mes amis ! vous auriez un moyen d’échapper à un funeste avenir ; mais j’aimerais mieux mourir que de vous en donner le conseil. Qu’ils s’éloignent, et qu’ils vivent. » Puis s’adressant à Bougainville, il ajouta : « Et toi, chef des brigands qui t’obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d’effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n’es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? Orou ! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l’as dit à moi, ce qu’ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous. Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y as mis le pied ? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu’il gravât sur une de vos pierres ou sur l’écorce d’un de vos arbres : Ce pays appartient aux habitants de Tahiti, qu’en penserais-tu ?… Tu n’es pas esclave : tu souffrirais la mort plutôt que de l’être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que le Tahitien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux t’emparer comme de la brute, le Tahitien est ton frère. Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu’il n’ait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t’avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t’avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. « Laisse nous nos moeurs ; elles sont plus sages et honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons plus troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons. Sommes-nous dignes de mépris, parce que nous n’avons pas su nous faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir. Tu es entré dans nos cabanes, qu’y manque-t-il, à ton avis ? Poursuis jusqu’où tu voudras ce que tu appelles les commodités de la vie ; mais permets à des êtres sensés de s’arrêter, lorsqu’ils n’auraient à obtenir, de la continuité de leurs pénibles efforts, que des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir l’étroite limite du besoin, quand finirons-nous de travailler ? Quand jouirons-nous ? Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières la moindre qu’il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable au repos. Va dans ta contrée t’agiter, te tourmenter tant que tu voudras ; laisse-nous reposer : ne nous entête ni de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques.

Questions possibles à l’oral de français sur « les adieux du vieillard » dans Supplément au voyage de Bougainville :

♦ Quels sont les enjeux du discours du vieux tahitien ? ♦ Quelle vision ce discours donne-t-il de la société européenne  ? Par quels moyens ? ♦ En quoi ce texte reflète-t-il la pensée des philosophes des Lumières  ? ♦ En quoi ce texte est-il une utopie ? ♦ Comment est représentée la société tahitienne dans le discours du vieillard ? ♦ Dans quelle mesure ce texte illustre-t-il le mythe du bon sauvage ?

Annonce du plan

Nous verrons comment la critique violente de la civilisation européenne (I) donne par contraste une vision utopique de la vie sauvage (II) grâce à la stratégie argumentative mise en place par Diderot (III).

I – Une critique de la civilisation européenne

A – la critique de la colonisation.

Le vieux tahitien critique vivement la colonisation de Tahiti.

Il dénonce tout d’abord ce qu’est réellement la colonisation : un vol régi par un rapport de force. On observe ainsi le champ lexical du pillage : «  égorger  » , «  corrompus  » , «  vils  » , «  chef des brigands  » , «  le vol de toute une contrée  » .

L’omniprésence de déterminants et de pronoms possessifs souligne le désir de possession des colonisateurs : « Ce pays est à nous  » , «  du tien et du mien  », «  Nos filles et no s femmes », «  votre sang », « dans notre terre le titre de notre futur esclavage »

Ce rapport de force s’accompagne de violence et de cruauté : «   fureurs », « féroce », « égorgés », « teintes de votre sang », « vengé », « vol », « t’emparer comme de la brute », «  jetés », « pillé », « saisi et exposé aux flèches ».

Les colonisateurs ne cherchent qu’à réduire les tahitiens en esclavage , comme le souligne le polyptote « esclavage » et « esclaves » ainsi que le champ lexical de l’ esclavage  : « enchaîner », « assujettir », « servirez sous eux », « t’obéissent », « nous asservir ».

L’ antithèse entre liberté et esclavage est mise en évidence tout au long des adieux du vieillard à travers les parallélismes  : ♦ «  Nous sommes libres  ; // et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage  »; ♦ « Ce pays est à nous . // Ce pays est à toi  ! »; ♦  « Tu n’es pas esclave  : tu souffrirais la mort plutôt que de l’être, // et tu veux nous asservir  ! ».

Au delà de la colonisation, c’est la civilisation européenne elle-même qui est visée par le vieux tahitien.

B – La critique des valeurs de la société européenne

En dénonçant le comportement des colonisateurs, le vieillard dénonce en réalité les valeurs de la civilisation européenne : la propriété , la violence et le matérialisme .

L’idée de propriété est au cœur de la civilisation européenne : «  Tu nous a prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien  » .

Cette idée s’applique non seulement aux bien matériels et aux terres («  Ce pays est à nous  » ), mais également aux êtres humains puisque les colonisateurs s’approprient les femmes tahitiennes et réduisent les tahitiens en esclavage.

Or ce rapport de possession engendre violence et jalousie : «  tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues  » , «  elles sont devenues folles dans tes bras  » . Elle crée également une compétition violente entre les hommes : «  vous vous êtes égorgées pour elles  » .

Le vieillard dénonce également une société matérialiste mue par des «  besoins superflus  » (il s’agit là d’un oxymore puisqu’un besoin est forcément nécessaire).

Cette quête insensée de «  besoins factices  » ne crée qu’ épuisement et agitation : «  pénibles efforts  » , «  fatigues annuelles et journalières  » , «  t’agiter, te tourmenter  » .

Transition : Cette vision négative de la civilisation européenne contraste avec la représentation utopique de la vie sauvage.

II – Une vision utopique de la vie sauvage

A – eloge de la simplicité des tahitiens.

Derrière la critique de la civilisation européenne transparaît l’ éloge de la vie sauvage.

Les tahitiens sont en symbiose avec la nature , ce qui est marqué par la présence d’un champ lexical de la nature : «   morceau de bois », « rive », « la nature », « terre », « côtes », « pierres », « l’écorce d’un de vos arbres », « champs », « animaux », « cabanes ».

Tout ce dont ils ont besoin, les tahitiens le trouvent dans la nature.

Ainsi, ils ne manquent de rien, ce qui est renforcé par l’ hyperbole « Tout » («  Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons» ) et la structure binaire des phrases qui suggère la facilité avec laquelle ils subviennent à leurs besoins : « Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir ».

Les tahitiens vivent selon une morale épicurienne qui consiste à borner ses ambitions ou ses désirs pour atteindre le bonheur dans une vie simple .

Dénués de «  besoins superflus  » , ils consacrent du temps à jouir de la vie et à se reposer («  Quand jouirons-nous ? « , «  rien ne nous paraît préférable au repos  » ).

On assiste à un renversement de valeur puisque c’est l’ oisiveté – et non le travail – qui est présentée comme souhaitable par le vieux tahitien.

B – Tolérance et ouverture d’esprit

La société tahitienne est basée sur des valeurs fondamentales   : ♦ La liberté : «   Nous sommes libres » ; ♦ L’égalité et la fraternité :«  le Tahitien est ton frère. Vous êtes deux enfants de la nature; quel droit as-tu sur lui qu’il n’ait pas sur toi ? » ; ♦ Le partage : «   Ici tout est à tous », « Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous » ; ♦ La tolérance : «   Nous avons respecté notre image en toi » .

La notion de partage irrigue la société tahitienne : « Ici tout est à tous » , « Nos filles et nos femmes nous sont communes » .

Leur altruisme n’est pas uniquement tourné vers les individus de leur communauté, mais étendu à tous les êtres humains . La fraternité est mise en valeur dans le discours du vieillard : «  Vous êtes deux enfants de la nature  » , «  le Tahitien est ton frère  » , «  Nous avons respecté notre image en toi  » .

Les tahitiens sont même si respectueux de la vie humaine qu’ils préfèrent laisser partir les européens plutôt que de les tuer pour mettre fin à la colonisation : «  Tahitiens ! Vous auriez un moyen d’échapper à un funeste avenir; mais j’aimerais mieux mourir que de vous en donner le conseil. Qu’ils s’éloignent et qu’ils vivent.  »

Ainsi, on retrouve dans Supplément au voyage de Bougainville la représentation du mythe du bon sauvage , avec une vision proche de celle de Rousseau : l’homme est bon à l’état de nature , alors que la civilisation le corrompt.

Transition : En donnant la parole au vieux tahitien, Diderot met en place une stratégie argumentative solide pour convaincre et persuader ses lecteurs.

III – La stratégie argumentative mise en place par Diderot

A – un discours à forte tonalité polémique.

Les adieux du vieux tahitien apparaissent comme un véritable réquisitoire à l’encontre des européens, réquisitoire dominé par une tonalité polémique .

Cette tonalité polémique transparaît tout d’abord dans la ponctuation forte .

Les nombreuses phrases exclamatives et interrogatives associées à des apostrophes traduisent l’indignation du vieillard : « Pleurez, malheureux Tahitiens  !  » , « O Tahitiens  ! mes amis  !  » , « qui es-tu donc, pour faire des esclaves  ? Orou  !  » , « Ce pays est à toi  ! et pourquoi  ? parce que tu y as mis le pied  ?  ».

L’accumulation des questions rhétoriques renforce l’incompréhension du tahitien face au comportement des européens.

Cette colère est renforcée par l’emploi de l’ impératif et les interjections et apostrophes injurieuses : «  Pleurez , malheu r eux T ahitiens ! pleurez  ; mais que ce soit d e l’a rr ivée, et non d u d é p a r t d e ces hommes ambitieux et méchants  », « Et toi, chef des brigands qui t ’obéissent, écarte pr om pt ement t on vaisseau d e no tr e r ive », «  Laisse-nous nos mœu r s », «  Va d ans t a con tr ée t ’agi t er, t e t ou r men t er t ant que t u vou dr as ; laisse-nous r e p oser : ne nous entête ni d e t es besoins fac t ices, ni d e t es ve rt us chimé r iques ».

La colère du vieux tahitien est amplifiée par les sonorités agressives et virulentes , comme les allitérations en « r », « p », « d » et « t » qui martèlent le discours.

Enfin, la brièveté des phrases , majoritairement séparées par des points-virgules , créée un rythme saccadé qui traduit la virulence du vieux tahitien.

B – Un discours raisonné

Mais derrière ce violent réquisitoire se cache un discours construit et raisonné .

Le vieux tahitien fait des constats basés sur des observations , ce qui est marqué par l’emploi du passé composé  : «  tu as tenté », «  tu nous as prêché », « tu es venu », « Elles sont devenues », «  Elles ont commencé », « Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ?[…]Nous avons respecté notre image en toi ».

Il invite les européens à se mettre à la place de l’autre : «  Nous sommes-nous jetés sur ta personne ?  » , «  T’avons-nous saisi et exposé aux flèches ?  » et leur oppose une philosophie de vie réfléchie : «  Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons.  »

Le vieillard n’est pas aveuglé par la haine. Il refuse d’utiliser la violence contre les colonisateurs («  Vous auriez un moyen d’échapper à un funeste avenir; mais j’aimerais mieux mourir que de vous eu donner le conseil . » ) et met sans cesse en relief la fraternité qui unit tous les hommes : «  le Tahitien est ton frère « , «  Nous avons respecté notre image en toi « .

Alors que les européens se persuadent de leur supériorité et pensent apporter leurs «  lumières  » aux tahitiens («  Nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières. » ), le discours structuré du vieillard , sa tolérance , son analyse et son ouverture d’esprit contredisent la prétendue ignorance des tahitiens.

Les Tahitiens sont finalement les modèles d’une humanité ouverte et généreuse. Diderot opère une inversion ironique  : les prétendus civilisés sont barbares et les sauvages sont civilisés .

Les adieux du vieillard, Supplément au voyage de Bougainville, conclusion :

A travers le discours à la fois spontané et construit du vieux tahitien, Diderot critique la colonisation et la civilisation européenne.

Par contraste, il fait l’ éloge du mode de vie et des mœurs des Tahitiens .

A l’instar d’autres philosophes comme Montaigne au 16ème siècle et Rousseau au 18ème siècle, Diderot reprend ici le mythe du bon sauvage pour dénoncer les vices de la civilisation européenne .

Tu étudies Supplément au voyage de Bougainville ? Regarde aussi :

♦ Supplément au voyage de Bougainville, Diderot, histoire de Polly Baker ♦ Supplément au voyage de Bougainville, Diderot, l’aumônier ♦ Lettres persanes, Montesquieu [fiche de lecture] ♦ Voltaire [fiche auteur] ♦ « De l’esclavage des nègres », Montesquieu : analyse ♦ L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ♦ Jacques le fataliste, incipit : analyse ♦ Jean-Jacques Rousseau [Fiche auteur]

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Amélie Vioux

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29 commentaires

Merci pour votre site qui m’aide beaucoup pour les commentaires. Je dois faire un plan détaillé mais j’ai beaucoup de mal à comprendre la consigne pouvez vous m’aider ?

Bonjour, merci pour ce commentaire, j’aurai une question car je ne comprend pas qui/quoi représente « le morceau de bois » et « le fer », au début du discours? Merci

Le morceau de bois est la croix qui fait écho à une colonisation pour motif religieux (convertir le nouveau peuple aux religions européennes) et le morceau de fer symbolise l’épée et donc la conquête armée.

Merci pour le travail Amélie vous êtes géniale, pour l’année prochaine essayez de nous présenter quelques auteurs Africains

Désolé de vous derranger, mais ca serait possible que vous me donniez un exemple en relation avec: • La rigueur et la volonté d’objectivité de l’argumentation directe n’excluent pas pour autant l’implication de l’auteur, qui a le loisir d’ajouter une dimension personnelle à son argumentation, ce qui peut renforcer l’intérêt du lecteur et provoquer ses réactions (hostiles ou favorables) Vous me serez de grande aide, Merci d’avance 🙂

Vos commentaires sont très intéressants et construits. Je m’en sers souvent pour compléter mes propres commentaires. Je vous remercie et vous félicite pour votre travail!

Je passe le bac cette année et je peux vous dire que vous avez été d’une très grande aide pour toute ma classe y compris mon prof de français ! (oui elle nous imprime tout vos commentaires) en tout cas votre site est génial merci

Merci Melissa 🙂

elle se foule pas trop votre prof dis-donc…

Bonjour, j’aimerais savoir les Taitiens sont maudits depuis le jour où Bougainville a abordé leurs terres

Amélie t’es grave la meilleure <3

Le site est parfait et je m’en sert pour compléter le cours de ma prof cependant quelques uns ne sont pas sur le site. Est ce que vous connaissez un autre site aussi bien que le votre?

Je n’en connais pas d’autres… J’ai d’ailleurs créé mon site car je trouvais qu’il n’y avait pas grand chose de qualitatif et fiable sur internet.

Quels vices de la civilisation européenne sont dénoncés par le vieillard tahitien

Quel stratégie pour perduader le viellard utilise t-il ?

Tout est expliqué dans mon commentaire : relis le texte puis relis mon commentaire pour t’aider à élaborer une réponse personnelle.

j’aime

Bonjour , votre travail est très bien mais le souci est que mon texte commence : » Puis s’adressant a Bougainville , il ajouta:… ».si je travaille votre commentaire avec le paragraphe en plus c’est bon ou non ? Je n’ai pas eu de français car prof absents , remplacé récemment je n’ai pas travaillé dessus , je veux savoir comment procédé pour réviser l’oral par exemple avec vos commentaire ou autres ?je n’ai aucune méthode merci de m’eclairer..!

Bonjour je dois rédiger en français en sujet d’invention la réponse de bougainvillée au vieux thaicidn auriez vous des idées pour m’aider merci

bonjour Amelie Je passe mon oral de francais demain et j’ai vraiment un probleme mon professeur de francais de cette année ne nous donne pas d’explication des textes à l’ecrit, elle ne fait qu’expliquer à l’oral les textes, sans dicter. je me suis donc beaucoup aidé de ton site afin de faire mes propores explications de textes. J’ai donc pu retrouver l’explication de 18 textes grace a votre site, mais il m’en reste que je n’ai pas pu trouver ici: l’ingénu de Voltaire, chapitre 14 et Emile de Rousseau, livre 5 (allant de « il est utile à l’homme…à ainsi voyagera mon Emile) J’ai pu trouvé une explication assez vaste de l’ingenu sur un autre site mais pas aussi bien détaillé que le votre. Et mon vrai problème c’est surtout Emile: son explication est introuvable. j’angoisse beaucoup à l’idee de tomber sur ce texte C’est pour cela que je me demandais si c’est possible que vous publiez l’analyse d’Emile, afin que je connaisse tout mes textes pour mon oral. J’espère que vous lirez mon message. Dans tout les cas je tenais à vous dire que vos explications et vos conseils m’ont ete tres benefiques autant pour mes textes à l’oral que pour l’ecrit, bien plus qu’en cours. Merci d’avance et bonne journée.

Bonjour, Il m’est impossible de publier des lectures analytiques sur commande. C’est un travail très long que je réalise au fur et à mesure de l’année. Je choisis en outre des textes souvent donnés au bac de français afin qu’ils intéressent le plus grand nombre.

Bonjour, Est ce qu’il est possible de faire une ouverture sur un film? (ici l’enfant sauvage de Francois truffaut en rapport avec le mythe du bon sauvage et de la perversion de l’homme en société?)

Oui bien sûr, c’est possible.

Sur quel autre texte pourrait-on ouvrir ?

On pourrait ouvrir sur le chapitre 17 de Candide où tout est agréable à l’Eldorado , monde de plaisir , de savoir-vivre ect

Ou sinon on pourrait ouvrir sur le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau : Il fait le blâme de l’homme civilisé et l’éloge de l’homme sauvage à travers un essai construit à visée polémique!!

Bonjour Amélie, Ma lecture analytique n’a pas la même découpe que la votre, je m’explique, le texte commence à « Et toi, chef des brigands » et elle s’arrête plus moins, c’est à dire à « nous commettrons pour en arrêter le poison ». Pensez-vous que je peux quand même utiliser votre plan? Au plaisir de votre réponse.

Bonjour Amélie,

Je ne suis pas sûr mais je pense que le « Supplément au voyage de Bougainville » date de 1772 et non 1796, car Diderot l’a publié une année après la publication de celui de Bougainville (celui-ci publié en 1771).

De plus, tu as fait une faute de frappe : tu as mis III) A) deux fois dans le commentaire

Par ailleurs, je pense personnellement que ça serait une bonne idée de faire une ouverture en conclusion sur l’oeuvre du Baron de Lahontan « Dialogue entre le baron de lahontan et un sauvage d’Amérique » dans la mesure où le huron met en accusation les Européens, ayant une mauvaise influence sur les sauvages canadiens à travers un discours tout aussi raisonné et construit que celui du vieux Tahitien.

Bonjour, Tu confonds date d’écriture et de publication : Supplément au voyage de Bougainville a probablement été écrit en 1772 et remanié plusieurs fois jusque vers 1780, mais a été publié seulement en 1796 (après la mort de Diderot). Pour la conclusion, il est en effet pertinent de faire un lien avec un autre texte qui reprend le mythe du bon sauvage.

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Supplément au voyage de Bougainville, Denis Diderot

Ce dialogue philosophique n’a été publié qu’après la mort de Diderot et se présente, ainsi que l’indique son titre, comme une suite au Voyage autour du monde écrit par l’explorateur Bougainville. Ce Voyage , paru en 1771, décrit les contrées lointaines encore inconnues des Européens. Son analyse de la société tahitienne, si différente du vieux monde, avait frappé ses contemporains. La découverte de nouvelles civilisations et de nouvelles cultures est le point de départ de la réflexion morale de Diderot.

Le Supplément est un dialogue entre deux personnages, A et B. On retrouve ici la forme du dialogue, que Diderot avait déjà expérimenté dans Le Neveu de Rameau , et qui permet d’allier une écriture rapide et légère à une réflexion philosophique.

Denis Diderot

Dialogue philosophique

Personnages

B : Lecteur de Bougainville.

A : Ami de B auquel il raconte le voyage de Bougainville.

Orou : Sage otaïtien, porteur d’une tradition, il est conscient des dangers que représentent les Européens pour sa civilisation.

L’aumônier : Religieux européen, il est fait de contradictions qui trouveront peut-être leur résolution en Otaïti.

L’opposition entre deux sociétés : Le grand intérêt de ce texte est de proposer une comparaison entre la société dite civilisée et une société prétendument sauvage. Diderot reprend une réflexion entamée par Montaigne qui renverse la hiérarchie des valeurs proposée par l’Occident. Grâce au déplacement du voyage, ce n’est plus l’otaïtien qui représente la nouveauté curieuse et intrigante, mais au contraire l’européen, sous les traits de l’aumônier qui est une source d’étonnement pour les autochtones. Grâce à ce déplacement, la société dans laquelle vit le lecteur et qui lui a probablement toujours semblé aller de soi lui apparaît sous un angle nouveau et étranger. Sont alors pointées les incohérences et les contradictions des civilisations européennes.

La morale et la politique : Au-delà de ce comparatisme culturel, Diderot élabore une réflexion philosophique portant sur la morale et sur la politique. L’une des grandes questions soulevées par ce texte porte sur l’étendue de la morale : est-elle relative ou universelle ? Le bien et le mal sont-ils des valeurs purement culturelles ? Il cherche également ce qui constitue le fondement d’une société et sur quelles lois naturelles s’ancre une communauté politique.

Le dialogue : La forme de ce dialogue est aussi riche que la réflexion qu’elle porte. Les deux interlocuteurs du début laissent place à deux autres personnages, l’aumônier et Orou, dans un jeu de récits enchâssés et croisés. Ce double jeu de dialogue relance l’autre dialogue, celui que Diderot tisse avec le livre de Bougainville.

Chapitre I - Jugement du voyage de Bougainville

Au cours d’une discussion, A et B évoquent le livre de Bougainville que B est en train de lire. A n’a pas lu cet ouvrage que B lui décrit. Il raconte ainsi le voyage de Bougainville, il parle d’Aotourou, un otaïtien qui accompagna Bougainville jusqu’à Paris, et de la « vie sauvage » des Otaïtiens que B compare aux mœurs européennes, si différentes.

B propose ensuite à A de lire un passage du Voyage concernant l’adieu que fit le chef d’une île aux voyageurs.

Chapitre II - Les adieux du vieillard

À l’arrivée des Européens, ce vieillard s’était enfermé chez lui. Lorsque ceux-ci s’en vont, le vieillard tient un discours dans lequel il déclare qu’il faut se lamenter lorsqu’ils arrivent et non lorsqu’ils partent. Il reproche à Bougainville d’avoir introduit les vices européens chez eux, dévalorise la prétendue civilisation européenne et souhaite aux navires de couler.

Chapitre III - Entretien de l’aumônier et d’Orou

L’otaïtien Orou loge un aumônier. Après le repas, Orou propose à l’aumônier de choisir entre sa femme et ses trois filles afin que l’une d’entre elles devienne mère. L’aumônier refuse à cause de sa religion. S’en suit une discussion sur les rapports entre les hommes et les femmes dans la société otaïtienne, ainsi que sur la religion. Orou ne comprend pas les Européens, qui sont censés obéir à l’État et à Dieu, mais qui ne sont pas punis lorsqu’ils ne le font pas.

La conversation retourne à A et B qui parlent de miss Polly Baker, une femme qui a été de nombreuses fois enceinte sans être mariée. Elle a échappé à la punition prévue en renvoyant la culpabilité sur les hommes.

Chapitre IV - Suite de l’entretien de l’aumônier et d’Orou

L’aumônier et Orou poursuivent la comparaison de leurs cultures respectives. Il est notamment question d’inceste, d’adultère, de l’importance des enfants, de l’argent, des religieux. Orou ne comprend pas les obligations qui lient les moines.

L’aumônier finit par céder à la tentation que représentent les filles et la femme d’Orou.

Chapitre V - Suite du dialogue entre A et B

À leur tour, A et B comparent les sociétés d’Europe et d’Otaïti. Ils se rendent compte que beaucoup des principes auxquels ils tiennent ne sont pas naturels mais acquis. Il leur semble que l’homme sauvage est davantage dans le juste que l’homme civilisé : il faudrait en effet se rapprocher davantage des lois de la nature.

« A – Cette superbe voûte étoilée sous laquelle nous revînmes hier et qui semblait nous garantir un beau jour, ne nous a pas tenu parole. B – Qu’en savez-vous ? A – Le brouillard est si épais qu’il nous dérobe la vue des arbres voisins. B – Il est vrai ; mais si ce brouillard qui ne reste dans la partie inférieure de l’atmosphère que parce qu’elle est suffisamment chargée d’humidité, retombe sur la terre ? A – Mais si au contraire il traverse l’éponge, s’élève et gagne la région supérieure où l’air est moins dense et peut, comme disent les chimistes, n’être pas saturé ? B – Il faut attendre. A – En attendant, que faites-vous ? B – Je lis. A – Toujours ce voyage de Bougainville ? B – Toujours. »

« OROU – Mais dis-moi donc pourquoi tu n’es pas vêtu comme les autres ? Que signifie cette casaque longue qui t’enveloppe de la tête aux pieds et ce sac pointu que tu laisses tomber sur tes épaules ou que tu ramènes sur tes oreilles ? L’AUMÔNIER – C’est quel tel que tu me vois, je me suis engagé dans une société d’hommes qu’on appelle dans mon pays des moines. Le plus sacré de leurs vœux est de n’approcher d’aucune femme et de ne point faire d’enfants. OROU – Que faites-vous donc ? L’AUMÔNIER – Rien. OROU – Et ton magistrat souffre cette espèce de paresseux, la pire de toutes ? L’AUMÔNIER – Il fait plus, il la respecte et la fait respecter. »

« Veux-tu savoir en tout temps et en tout lieu ce qui est bon et mauvais ? Attache-toi à la nature des choses et des actions, à tes rapports avec ton semblable, à l’influence de ta conduite sur ton utilité particulière et le bien général. »

« Je ne sais quels sont ces personnages que tu appelles magistrats et prêtres, dont l’autorité règle votre conduite ; mais, dis-moi, sont-ils maîtres du bien et du mal ? Peuvent-ils faire que ce qui est juste soit injuste, et que ce qui est injuste soit juste ? Dépend-il d’eux d’attacher le bien à des actions nuisibles et le mal à des actions innocentes ou utiles ? Tu ne saurais le penser, car à ce compte il n’y aurait ni vrai ni faux, ni bon ni mauvais, ni beau ni laid, du moins que ce qu’il plairait à ton grand ouvrier, à tes magistrats, à tes prêtres. »

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Supplément au voyage de Bougainville

des idées morales à certaines actions physiques

At quanto meliora monet, pugnantiaque istis, Dives opis Natura suæ, tu si modo recte Dispensare velis, ac non fugienda petendis Immiscere ! Tuo vitio rerumne labores, Nil referre putas ?

A . Cette superbe voûte étoilée, sous laquelle nous revînmes hier, et qui semblait nous garantir un beau jour, ne nous a pas tenu parole.

B . Qu’en savez-vous ?

A . Le brouillard est si épais qu’il nous dérobe la vue des arbres voisins.

B . Il est vrai ; mais si ce brouillard, qui ne reste dans la partie inférieure de l’atmosphère que parce qu’elle est suffisamment chargée d’humidité, retombe sur la terre ?

A . Mais si au contraire il traverse l’éponge, s’élève et gagne la région supérieure où l’air est moins dense, et peut, comme disent les chimistes, n’être pas saturé ?

B . Il faut attendre.

A . En attendant, que faites-vous ?

B . Je lis.

A . Toujours ce voyage de Bougainville ?

B . Toujours.

A . Je n’entends rien à cet homme-là. L’étude des mathématiques, qui suppose une vie sédentaire, a rempli le temps de ses jeunes années ; et voilà qu’il passe subitement d’une condition méditative et retirée au métier actif, pénible, errant et dissipé de voyageur.

B . Nullement. Si le vaisseau n’est qu’une maison flottante, et si vous considérez le navigateur qui traverse des espaces immenses, resserré et immobile dans une enceinte assez étroite, vous le verrez faisant le tour du globe sur une planche, comme vous et moi le tour de l’univers sur votre parquet.

A . Une autre bizarrerie apparente, c’est la contradiction du caractère de l’homme et de son entreprise. Bougainville a le goût des amusements de la société ; il aime les femmes, les spectacles, les repas délicats ; il se prête au tourbillon du monde d’aussi bonne grâce qu’aux inconstances de l’élément sur lequel il a été ballotté. Il est aimable et gai : c’est un véritable Français lesté, d’un bord, d’un traité de calcul différentiel et intégral, et de l’autre, d’un voyage autour du globe.

B . Il fait comme tout le monde : il se dissipe après s’être appliqué, et s’applique après s’être dissipé.

A . Que pensez-vous de son Voyage ?

B . Autant que j’en puis juger sur une lecture assez superficielle, j’en rapporterais l’avantage à trois points principaux : une meilleure connaissance de notre vieux domicile et de ses habitants ; plus de sûreté sur des mers qu’il a parcourues la sonde à la main, et plus de correction dans nos cartes géographiques. Bougainville est parti avec les lumières nécessaires et les qualités propres à ces vues : de la philosophie, du courage, de la véracité ; un coup d’œil prompt qui saisit les choses et abrège le temps des observations ; de la circonspection, de la patience ; le désir de voir, de s’éclairer et de s’instruire ; la science du calcul, des mécaniques, de la géométrie, de l’astronomie ; et une teinture suffisante d’histoire naturelle.

A . Et son style ?

B . Sans apprêt ; le ton de la chose, de la simplicité et de la clarté, surtout quand on possède la langue des marins.

A . Sa course a été longue ?

B . Je l’ai tracée sur ce globe. Voyez-vous cette ligne de points rouges ?

A . Qui part de Nantes ?

B . Et court jusqu’au détroit de Magellan, entre dans la mer Pacifique, serpente entre ces îles formant l’archipel immense qui s’étend des Philippines à la Nouvelle-Hollande, rase Madagascar, le cap de Bonne-Espérance, se prolonge dans l’Atlantique, suit les côtes d’Afrique, et rejoint l’une de ses extrémités à celle d’où le navigateur s’est embarqué.

A . Il a beaucoup souffert ?

B . Tout navigateur s’expose, et consent de s’exposer aux périls de l’air, du feu, de la terre et de l’eau : mais qu’après avoir erré des mois entiers entre la mer et le ciel, entre la mort et la vie ; après avoir été battu des tempêtes, menacé de périr par naufrage, par maladie, par disette d’eau et de pain, un infortuné vienne, son bâtiment fracassé, tomber, expirant de fatigue et de misère, aux pieds d’un monstre d’airain qui lui refuse ou lui fait attendre impitoyablement les secours les plus urgents, c’est une dureté !…

A . Un crime digne de châtiment.

B . Une de ces calamités sur laquelle le voyageur n’a pas compté.

A . Et n’a pas dû compter. Je croyais que les puissances européennes n’envoyaient, pour commandants dans leurs possessions d’outre-mer, que des âmes honnêtes, des hommes bienfaisants, des sujets remplis d’humanité, et capables de compatir…

B . C’est bien là ce qui les soucie !

A . Il y a des choses singulières dans ce voyage de Bougainville.

B . Beaucoup.

A . N’assure-t-il pas que les animaux sauvages s’approchent de l’homme, et que les oiseaux viennent se poser sur lui, lorsqu’ils ignorent le danger de cette familiarité ?

B . D’autres l’avaient dit avant lui.

A . Comment explique-t-il le séjour de certains animaux dans des îles séparées de tout continent par des intervalles de mer effrayants ? Qui est-ce qui a porté là le loup, le renard, le chien, le cerf, le serpent ?

B . Il n’explique rien ; il atteste le fait.

A . Et vous, comment l’expliquez-vous ?

B . Qui sait l’histoire primitive de notre globe ? Combien d’espaces de terre, maintenant isolés, étaient autrefois continus ? Le seul phénomène sur lequel on pourrait former quelque conjecture, c’est la direction de la masse des eaux qui les a séparés.

A . Comment cela ?

B . Par la forme générale des arrachements. Quelque jour nous nous amuserons de cette recherche, si cela vous convient. Pour ce moment, voyez-vous cette île qu’on appelle des Lanciers  ? À l’inspection du lieu qu’elle occupe sur le globe, il n’est personne qui ne se demande qui est-ce qui a placé là des hommes ? quelle communication les liait autrefois avec le reste de leur espèce ? que deviennent-ils en se multipliant sur un espace qui n’a pas plus d’une lieue de diamètre ?

A . Ils s’exterminent et se mangent ; et de là peut-être une première époque très-ancienne et très-naturelle de l’anthropophagie, insulaire d’origine.

B . Ou la multiplication y est limitée par quelque loi superstitieuse ; l’enfant y est écrasé dans le sein de sa mère foulée sous les pieds d’une prêtresse.

A . Ou l’homme égorgé expire sous le couteau d’un prêtre ; ou l’on a recours à la castration des mâles…

B . À l’infibulation des femelles ; et de là tant d’usages d’une cruauté nécessaire et bizarre, dont la cause s’est perdue dans la nuit des temps, et met les philosophes à la torture. Une observation assez constante, c’est que les institutions surnaturelles et divines se fortifient et s’éternisent, en se transformant, à la longue, en lois civiles et nationales ; et que les institutions civiles et nationales se consacrent, et dégénèrent en préceptes surnaturels et divins.

A . C’est une des palingénésies les plus funestes.

B . Un brin de plus qu’on ajoute au lien dont on nous serre.

A . N’était-il pas au Paraguay au moment même de l’expulsion des jésuites ?

A . Qu’en dit-il ?

B . Moins qu’il n’en pourrait dire ; mais assez pour nous apprendre que ces cruels Spartiates en jaquette noire en usaient avec leurs esclaves Indiens, comme les Lacédémoniens avec les Ilotes ; les avaient condamnés à un travail assidu ; s’abreuvaient de leur sueur, ne leur avaient laissé aucun droit de propriété ; les tenaient sous l’abrutissement de la superstition ; en exigeaient une vénération profonde ; marchaient au milieu d’eux, un fouet à la main, et en frappaient indistinctement tout âge et tout sexe. Un siècle de plus, et leur expulsion devenait impossible, ou le motif d’une longue guerre entre ces moines et le souverain, dont ils avaient peu à peu secoué l’autorité.

A . Et ces Patagons, dont le docteur Maty et l’académicien La Condamine ont fait tant de bruit ?

B . Ce sont de bonnes gens qui viennent à vous, et qui vous embrassent en criant Chaoua  ; forts, vigoureux, toutefois n’excédant guère la hauteur de cinq pieds cinq à six pouces ; n’ayant d’énorme que leur corpulence, la grosseur de leur tête et l’épaisseur de leurs membres.

Né avec le goût du merveilleux, qui exagère tout autour de lui, comment l’homme laisserait-il une juste proportion aux objets, lorsqu’il a, pour ainsi dire, à justifier le chemin qu’il a fait, et la peine qu’il s’est donnée pour les aller voir au loin ?

A . Et du sauvage, qu’en pense-t-il ?

B . C’est, à ce qu’il paraît, de la défense journalière contre les bêtes, qu’il tient le caractère cruel qu’on lui remarque quelquefois. Il est innocent et doux, partout où rien ne trouble son repos et sa sécurité. Toute guerre naît d’une prétention commune à la même propriété. L’homme civilisé a une prétention commune, avec l’homme civilisé, à la possession d’un champ dont ils occupent les deux extrémités ; et ce champ devient un sujet de dispute entre eux.

A . Et le tigre a une prétention commune, avec l’homme sauvage, à la possession d’une forêt ; et c’est la première des prétentions, et la cause de la plus ancienne des guerres… Avez-vous vu le Taïtien que Bougainville avait pris sur son bord, et transporté dans ce pays-ci ?

B . Je l’ai vu ; il s’appelait Aotourou. À la première terre qu’il aperçut, il la prit pour la patrie des voyageurs ; soit qu’on lui en eût imposé sur la longueur du voyage ; soit que, trompé naturellement par le peu de distance apparente des bords de la mer qu’il habitait, à l’endroit où le ciel semble confiner à l’horizon, il ignorât la véritable étendue de la terre. L’usage commun des femmes était si bien établi dans son esprit, qu’il se jeta sur la première Européenne qui vint à sa rencontre, et qu’il se disposait très-sérieusement à lui faire la politesse de Taïti. Il s’ennuyait parmi nous. L’alphabet taïtien n’ayant ni b , ni c , ni d , ni f , ni g , ni q , ni x , ni y , ni z , il ne put jamais apprendre à parler notre langue, qui offrait à ses organes inflexibles trop d’articulations étrangères et de sons nouveaux. Il ne cessait de soupirer après son pays, et je n’en suis pas étonné. Le voyage de Bougainville est le seul qui m’ait donné du goût pour une autre contrée que la mienne ; jusqu’à cette lecture, j’avais pensé qu’on n’était nulle part aussi bien que chez soi ; résultat que je croyais le même pour chaque habitant de la terre ; effet naturel de l’attrait du sol ; attrait qui tient aux commodités dont on jouit, et qu’on n’a pas la même certitude de retrouver ailleurs.

A . Quoi ! vous ne trouvez pas l’habitant de Paris aussi convaincu qu’il croisse des épis dans la campagne de Rome que dans les champs de la Beauce ?

B . Ma foi, non. Bougainville a renvoyé Aotourou, après avoir pourvu aux frais et à la sûreté de son retour.

A . Ô Aotourou ! que tu seras content de revoir ton père, ta mère, tes frères, tes sœurs, tes maîtresses, tes compatriotes, que leur diras-tu de nous ?

B . Peu de choses, et qu’ils ne croiront pas.

A . Pourquoi peu de choses ?

B . Parce qu’il en a peu conçues, et qu’il ne trouvera dans sa langue aucun terme correspondant à celles dont il a quelques idées.

A . Et pourquoi ne le croiront-ils pas ?

B . Parce qu’en comparant leurs mœurs aux nôtres, ils aimeront mieux prendre Aotourou pour un menteur, que de nous croire si fous.

A . En vérité ?

B . Je n’en doute pas : la vie sauvage est si simple, et nos sociétés sont des machines si compliquées ! Le Taïtien touche à l’origine du monde, et l’Européen touche à sa vieillesse. L’intervalle qui le sépare de nous est plus grand que la distance de l’enfant qui naît à l’homme décrépit. Il n’entend rien à nos usages, à nos lois, ou il n’y voit que des entraves déguisées sous cent formes diverses ; entraves qui ne peuvent qu’exciter l’indignation et le mépris d’un être en qui le sentiment de la liberté est le plus profond des sentiments.

A . Est-ce que vous donneriez dans la fable de Taïti ?

B . Ce n’est point une fable ; et vous n’auriez aucun doute sur la sincérité de Bougainville, si vous connaissiez le supplément de son voyage.

A . Et où trouve-t-on ce supplément ?

B . Là, sur cette table.

A . Est-ce que vous ne me le confierez pas ?

B . Non ; mais nous pourrons le parcourir ensemble, si vous voulez.

A . Assurément, je le veux. Voilà le brouillard qui retombe, et l’azur du ciel qui commence à paraître. Il semble que mon lot soit d’avoir tort avec vous jusque dans les moindres choses ; il faut que je sois bien bon pour vous pardonner une supériorité aussi continue !

B . Tenez, tenez, lisez : passez ce préambule qui ne signifie rien, et allez droit aux adieux que fit un des chefs de l’île à nos voyageurs. Cela vous donnera quelque notion de l’éloquence de ces gens-là.

A . Comment Bougainville a-t-il compris ces adieux prononcés dans un langue qu’il ignorait ?

B . Vous le saurez. C’est un vieillard qui parle.

Il était père d’une famille nombreuse. À l’arrivée des Européens, il laissa tomber des regards de dédain sur eux, sans marquer ni étonnement, ni frayeur, ni curiosité [1] . Ils l’abordèrent ; il leur tourna le dos, se retira dans sa cabane. Son silence et son souci ne décelaient que trop sa pensée : il gémissait en lui-même sur les beaux jours de son pays éclipsés. Au départ de Bougainville, lorsque les habitants accouraient en foule sur le rivage, s’attachaient à ses vêtements, serraient ses camarades entre leurs bras, et pleuraient, ce vieillard s’avança d’un air sévère, et dit :

« Pleurez, malheureux Taïtiens ! pleurez ; mais que ce soit de l’arrivée, et non du départ de ces hommes ambitieux et méchants : un jour, vous les connaîtrez mieux. Un jour, ils reviendront, le morceau de bois que vous voyez attaché à la ceinture de celui-ci, dans une main, et le fer qui pend au côté de celui-là, dans l’autre, vous enchaîner, vous égorger, ou vous assujettir à leurs extravagances et à leurs vices ; un jour vous servirez sous eux, aussi corrompus, aussi vils, aussi malheureux qu’eux. Mais je me console ; je touche à la fin de ma carrière ; et la calamité que je vous annonce, je ne la verrai point. Taïtiens ! mes amis ! vous auriez un moyen d’échapper à un funeste avenir ; mais j’aimerais mieux mourir que de vous en donner le conseil. Qu’ils s’éloignent, et qu’ils vivent. »

Puis s’adressant à Bougainville, il ajouta : « Et toi, chef des brigands qui t’obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d’effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien . Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n’es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? Orou ! toi qui entends la langue de ces hommes-Là, dis-nous à tous, comme tu me l’as dit à moi, ce qu’ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous . Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y as mis le pied ? Si un Taïtien débarquait un jour sur vos côtes, et qu’il gravât sur une de vos pierres ou sur l’écorce d’un de vos arbres : Ce pays appartient aux habitants de Taïti , qu’en penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et qu’est-ce que cela fait ? Lorsqu’on t’a enlevé une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t’es récrié, tu t’es vengé ; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n’es pas esclave : tu souffrirais la mort plutôt que de l’être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que le Taïtien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux t’emparer comme de la brute, le Taïtien est ton frère. Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu’il n’ait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t’avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t’avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse-nous nos mœurs, elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes. Nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons. Sommes-nous dignes de mépris parce que nous n’avons pas su nous faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir. Tu es entré dans nos cabanes, qu’y manque-t-il, à ton avis ? Poursuis jusqu’où tu voudras ce que tu appelles commodités de la vie ; mais permets à des êtres sensés de s’arrêter, lorsqu’ils n’auraient à obtenir, de la continuité de leurs pénibles efforts, que des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir l’étroite limite du besoin, quand finirons-nous de travailler ? Quand jouirons-nous ? Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières, la moindre qu’il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable au repos. Va dans ta contrée t’agiter, te tourmenter tant que tu voudras ; laisse-nous reposer : ne nous entête ni de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques. Regarde ces hommes ; vois comme ils sont droits, sains et robustes. Regarde ces femmes ; vois comme elles sont droites, saines, fraîches et belles. Prends cet arc, c’est le mien ; appelle à ton aide un, deux, trois, quatre de tes camarades, et tâchez de le tendre. Je le tends moi seul ; je laboure la terre ; je grimpe la montagne ; je perce la forêt ; je parcours une lieue de la plaine en moins d’une heure. Tes jeunes compagnons ont eu peine à me suivre, et j’ai quatre-vingt-dix ans passés. Malheur à cette île ! malheur aux Taïtiens présents, et à tous les Taïtiens à venir, du jour où tu nous as visités ! Nous ne connaissions qu’une maladie, celle à laquelle l’homme, l’animal et la plante ont été condamnés, la vieillesse, et tu nous en as apporté une autre ; tu as infecté notre sang. Il nous faudra peut-être exterminer de nos propres mains nos filles, nos femmes, nos enfants ; ceux qui ont approché tes femmes ; celles qui ont approché tes hommes. Nos champs seront trempés du sang impur qui a passé de tes veines dans les nôtres ; ou nos enfants, condamnés à nourrir et à perpétuer le mal que tu as donné aux pères et aux mères et qu’ils transmettront à jamais à leurs descendants. Malheureux ! tu seras coupable, ou des ravages qui suivront les funestes caresses des tiens, ou des meurtres que nous commettrons pour en arrêter le poison. Tu parles de crimes ! as-tu l’idée d’un plus grand crime que le tien ? Quel est chez toi le châtiment de celui qui tue son voisin ? la mort par le fer : quel est chez toi le châtiment du lâche qui l’empoisonne ? la mort par le feu : compare ton forfait à ce dernier ; et dis-nous, empoisonneur de nations, le supplice que tu mérites ? Il n’y a qu’un moment, la jeune Taïtienne s’abandonnait aux transports, aux embrassements du jeune Taïtien ; attendait avec impatience que sa mère (autorisée par l’âge nubile) relevât son voile, et mît sa gorge à nu. Elle était fière d’exciter les désirs, et d’arrêter les regards amoureux de l’inconnu, de ses parents, de son frère ; elle acceptait sans frayeur et sans honte, en notre présence, au milieu d’un cercle d’innocents Taïtiens, au son des flûtes, entre les danses, les caresses de celui que son jeune cœur et la voix secrète de ses sens lui désignaient. L’idée de crime et le péril de la maladie sont entrés avec toi parmi nous. Nos jouissances, autrefois si douces, sont accompagnées de remords et d’effroi. Cet homme noir, qui est près de toi, qui m’écoute, a parlé à nos garçons ; je ne sais ce qu’il a dit à nos filles ; mais nos garçons hésitent ; mais nos filles rougissent. Enfonce-toi, si tu veux, dans la forêt obscure avec la compagne perverse de tes plaisirs ; mais accorde aux bons et simples Taïtiens de se reproduire sans honte, à la face du ciel et au grand jour. Quel sentiment plus honnête et plus grand pourrais-tu mettre à la place de celui que nous leur avons inspiré, et qui les anime ? Ils pensent que le moment d’enrichir la nation et la famille d’un nouveau citoyen est venu, et ils s’en glorifient. Ils mangent pour vivre et pour croître : ils croissent pour multiplier, et ils n’y trouvent ni vice, ni honte. Écoute la suite de tes forfaits. À peine t’es-tu montré parmi eux, qu’ils sont devenus voleurs. À peine es-tu descendu dans notre terre, qu’elle a fumé de sang. Ce Taïtien qui courut à ta rencontre, qui t’accueillit, qui te reçut en criant : Taïo ! ami, ami  ; vous l’avez tué. Et pourquoi l’avez-vous tué ? parce qu’il avait été séduit par l’éclat de tes petits œufs de serpents [2] . Il te donnait ses fruits ; il t’offrait sa femme et sa fille ; il te cédait sa cabane : et tu l’as tué pour une poignée de ces grains, qu’il avait pris sans te le demander [3] . Et ce peuple ? Au bruit de ton arme meurtrière, la terreur s’est emparée de lui ; et il s’est enfui dans la montagne. Mais crois qu’il n’aurait pas tardé d’en descendre ; crois qu’en un instant, sans moi, nous périssiez tous. Eh ! pourquoi les ai-je apaisés ? pourquoi les ai-je contenus ? pourquoi les contiens-je encore dans ce moment ? Je l’ignore ; car tu ne mérites aucun sentiment de pitié ; car tu as une âme féroce qui ne l’éprouva jamais. Tu t’es promené, toi et les liens, dans notre île ; tu as été respecté ; tu as joui de tout ; tu n’as trouvé sur ton chemin ni barrière, ni refus : on t’invitait ; tu t’asseyais ; on étalait devant toi l’abondance du pays. As-tu voulu des jeunes filles ? excepté celles qui n’ont pas encore le privilège de montrer leur visage et leur gorge, les mères t’ont présenté les autres toutes nues ; te voilà possesseur de la tendre victime du devoir hospitalier ; on a jonché, pour elle et pour toi, la terre de feuilles et de fleurs ; les musiciens ont accordé leurs instruments ; rien n’a troublé la douceur, ni gêné la liberté de tes caresses ni des siennes. On a chanté l’hymne, l’hymne qui t’exhortait à être homme, qui exhortait notre enfant à être femme, et femme complaisante et voluptueuse. On a dansé autour de votre couche ; et c’est au sortir des bras de cette femme, après avoir éprouvé sur son sein la plus douce ivresse, que tu as tué son frère, son ami, son père, peut-être. Tu as fait pis encore ; regarde de ce côté ; vois cette enceinte hérissée de flèches [4]  ; ces armes qui n’avaient menacé que nos ennemis, vois-les tournées contre nos propres enfants : vois les malheureuses compagnes de nos plaisirs ; vois leur tristesse ; vois la douleur de leurs pères ; vois le désespoir de leurs mères : c’est là qu’elles sont condamnées à périr par nos mains, ou par le mal que tu leur as donné. Éloigne-toi, à moins que tes yeux cruels ne se plaisent à des spectacles de mort : éloigne-toi ; va, et puissent les mers coupables qui t’ont épargné dans ton voyage, s’absoudre, et nous venger en t’engloutissant avant ton retour ! Et vous, Taïtiens, rentrez dans vos cabanes, rentrez tous ; et que ces indignes étrangers n’entendent à leur départ que le flot qui mugit, et ne voient que l’écume dont sa fureur blanchit une rive déserte ! »

À peine eut-il achevé, que la foule des habitants disparut : un vaste silence régna dans toute l’étendue de l’île ; et l’on n’entendit que le sifflement aigu des vents et le bruit sourd des eaux sur toute la longueur de la côte : on eût dit que l’air et la mer, sensibles à la voix du vieillard, se disposaient à lui obéir.

B . Eh bien ! qu’en pensez-vous ?

A . Ce discours me paraît véhément ; mais à travers je ne sais quoi d’abrupt et de sauvage, il me semble y retrouver des idées et des tournures européennes.

B . Pensez donc que c’est une traduction du taïtien en espagnol, et de l’espagnol en français. Le vieillard s’était rendu, la nuit, chez cet Orou qu’il a interpellé, et dans la case duquel l’usage de la langue espagnole s’était conservé de temps immémorial [5] . Orou avait écrit en espagnol la harangue du vieillard : et Bougainville en avait une copie à la main, tandis que le Taïtien la prononçait.

A . Je ne vois que trop à présent pourquoi Bougainville a supprimé ce fragment ; mais ce n’est pas là tout ; et ma curiosité pour le reste n’est pas légère.

B . Ce qui suit, peut-être, vous intéressera moins.

A . N’importe.

B . C’est un entretien de l’aumônier de l’équipage avec un habitant de l’île.

A . Orou ?

B . Lui-même. Lorsque le vaisseau de Bougainville approcha de Taïti, un nombre infini d’arbres creusés furent lancés sur les eaux ; en un instant son bâtiment en fut environné ; de quelque côté qu’il tournât ses regards, il voyait des démonstrations de surprise et de bienveillance. On lui jetait des provisions ; on lui tendait Les bras ; on s’attachait à des cordes ; on gravissait contre des planches : on avait rempli sa chaloupe ; on criait vers le rivage, d’où les cris étaient répondus ; les habitants de l’île accouraient ; les voilà tous à terre : on s’empare des hommes de l’équipage ; on se les partage ; chacun conduit le sien dans sa cabane : les hommes les tenaient embrassés par le milieu du corps ; les femmes leur flattaient les joues de leurs mains. Placez-vous là ; soyez témoin, par la pensée, de ce spectacle d’hospitalité ; et dites-moi comment vous trouvez l’espèce humaine.

A . Très-belle.

B . Mais j’oublierais peut-être de vous parler d’un événement assez singulier. Cette scène de bienveillance et d’humanité fut troublée tout à coup par les cris d’un homme qui appelait à son secours ; c’était le domestique d’un des officiers de Bougainville. De jeunes Taïtiens s’étaient jetés sur lui, l’avaient étendu par terre, le déshabillaient et se disposaient à lui faire la civilité.

A . Quoi ! ces peuples si simples, ces sauvages si bons, si honnêtes ?…

B . Vous vous trompez ; ce domestique était une femme déguisée en homme. Ignorée de l’équipage entier, pendant tout le temps d’une longue traversée, les Taïtiens devinèrent son sexe au premier coup d’œil. Elle était née en Bourgogne ; elle s’appelait Barré ; ni laide, ni jolie, âgée de vingt-six ans. Elle n’était jamais sortie de son hameau ; et sa première pensée de voyager fut de faire le tour du globe : elle montra toujours de la sagesse et du courage.

A . Ces frêles machines-là renferment quelquefois des âmes bien fortes.

B . Dans la division que les Taïtiens se firent de l’équipage de Bougainville, l’aumônier [6] devint le partage d’Orou. L’aumônier et le Taïtien étaient à peu près du même âge, trente-cinq à trente-six ans. Orou n’avait alors que sa femme et trois filles appelées Asto, Palli et Thia. Elles le déshabillèrent, lui lavèrent le visage, les mains et les pieds, et lui servirent un repas sain et frugal. Lorsqu’il fut sur le point de se coucher, Orou, qui s’était absenté avec sa famille, reparut, lui présenta sa femme et ses trois filles nues, et lui dit :

— Tu as soupé, tu es jeune, tu te portes bien ; si tu dors seul, tu dormiras mal ; l’homme a besoin la nuit d’une compagne à son côté. Voilà ma femme, voilà mes filles : choisis celle qui te convient ; mais si tu veux m’obliger, tu donneras la préférence à la plus jeune de mes filles qui n’a point encore eu d’enfants.

La mère ajouta : — Hélas ! je n’ai point à m’en plaindre ; la pauvre Thia ! ce n’est pas sa faute.

L’aumônier répondit :

Que sa religion, son état, les bonnes mœurs et l’honnêteté ne lui permettaient pas d’accepter ces offres.

Orou répliqua :

— Je ne sais ce que c’est que la chose que tu appelles religion ; mais je ne puis qu’en penser mal, puisqu’elle t’empêche de goûter un plaisir innocent, auquel nature, la souveraine maîtresse, nous invite tous ; de donner l’existence à un de tes semblables ; de rendre un service que le père, la mère et les enfants te demandent ; de t’acquitter avec un hôte qui t’a fait un bon accueil, et d’enrichir une nation, en l’accroissant d’un sujet de plus. Je ne sais ce que c’est que la chose que tu appelles état ; mais ton premier devoir est d’être homme et d’être reconnaissant. Je ne te propose point de porter dans ton pays les mœurs d’Orou ; mais Orou, ton hôte et ton ami, te supplie de te prêter aux mœurs de Taïti. Les mœurs de Taïti sont-elles meilleures ou plus mauvaises que les vôtres ? c’est une question facile à décider. La terre où tu es né a-t-elle plus d’hommes qu’elle n’en peut nourrir ? en ce cas tes mœurs ne sont ni pires, ni meilleures que les nôtres. En peut-elle nourrir plus qu’elle n’en a ? nos mœurs sont meilleures que les tiennes. Quant à l’honnêteté que tu m’objectes, je te comprends ; j’avoue que j’ai tort ; et je t’en demande pardon. Je n’exige pas que tu nuises à ta santé ; si tu es fatigué, il faut que tu te reposes ; mais j’espère que tu ne continueras pas à nous contrister. Vois le souci que tu as répandu sur tous ces visages : elles craignent que tu n’aies remarqué en elles quelques défauts qui leur attirent ton dédain. Mais quand cela serait, le plaisir d’honorer une de mes filles, entre ses compagnes et ses sœurs, et de faire une bonne action, ne te suffirait-il pas ? Sois généreux !

Ce n’est pas cela : elles sont toutes quatre également belles ; mais ma religion ! mais mon état !

Elles m’appartiennent, et je te les offre : elles sont à elles, et elles se donnent à toi. Quelle que soit la pureté de conscience que la chose religion et la chose état te prescrivent, tu peux les accepter sans scrupules. Je n’abuse point de mon autorité ; et sois sûr que je connais et que je respecte les droits des personnes.

Ici, le véridique aumônier convient que jamais la Providence ne l’avait exposé à une aussi pressante tentation. Il était jeune ; il s’agitait, il se tourmentait ; il détournait ses regards des aimables suppliantes ; il les ramenait sur elles ; il levait ses mains et ses yeux au ciel. — Thia, la plus jeune, embrassait ses genoux et lui disait : Étranger, n’afflige pas mon père, n’afflige pas ma mère, ne m’afflige pas ! Honore-moi dans la cabane et parmi les miens ; élève-moi au rang de mes sœurs qui se moquent de moi. Asto l’aînée a déjà trois enfants ; Palli, la seconde, en a deux, et Thia n’en a point ! Étranger, honnête étranger, ne me rebute pas ! rends-moi mère ; fais-moi un enfant que je puisse un jour promener par la main, à côté de moi, dans Taïti ; qu’on voie dans neuf mois attaché à mon sein ; dont je sois fière, et qui fasse une partie de ma dot, lorsque je passerai de la cabane de mon père dans une autre. Je serai peut-être plus chanceuse avec toi qu’avec nos jeunes Taïtiens. Si tu m’accordes cette faveur, je ne t’oublierai plus ; je te bénirai toute ma vie ; j’écrirai ton nom sur mon bras et sur celui de ton fils ; nous le prononcerons sans cesse avec joie ; et, lorsque tu quitteras ce rivage, mes souhaits t’accompagneront sur les mers jusqu’à ce que tu sois arrivé dans ton pays.

Le naïf aumônier dit qu’elle lui serrait les mains, qu’elle attachait sur ses yeux des regards si expressifs et si touchants ; qu’elle pleurait ; que son père, sa mère et ses sœurs s’éloignèrent ; qu’il resta seul avec elle, et qu’en disant : Mais ma religion, mais mon état, il se trouva le lendemain couché à côté de cette jeune fille, qui l’accablait de caresses, et qui invitait son père, sa mère et ses sœurs, lorsqu’ils s’approchèrent de leur lit le matin, à joindre leur reconnaissance à la sienne.

Asto et Palli, qui s’étaient éloignées, rentrèrent avec les mets du pays, des boissons et des fruits : elles embrassaient leur sœur et faisaient des vœux sur elle. Ils déjeunèrent tous ensemble ; ensuite Orou, demeuré seul avec l’aumônier, lui dit :

— Je vois que ma fille est contente de toi ; et je te remercie. Mais pourrais-tu m’apprendre ce que c’est que le mot religion, que tu as répété tant de fois, et avec tant de douleur ?

L’aumônier, après avoir rêvé un moment, répondit :

— Qui est-ce qui a fait ta cabane et les ustensiles qui la meublent ?

Eh bien ! nous croyons que ce monde et ce qu’il renferme est l’ouvrage d’un ouvrier.

Il a donc des pieds, des mains, une tête ?

Où fait-il sa demeure ?

Ici même !

Nous ne l’avons jamais vu.

On ne le voit pas.

Voilà un père bien indifférent ! Il doit être vieux ; car il a au moins l’âge de son ouvrage.

Il ne vieillit point : il a parlé à nos ancêtres : il leur a donné des lois ; il leur a prescrit la manière dont il voulait être honoré ; il leur a ordonné certaines actions, comme bonnes ; il leur en a défendu d’autres, comme mauvaises.

J’entends ; et une de ces actions qu’il leur a défendues comme mauvaises, c’est de coucher avec une femme et une fille ? Pourquoi donc a-t-il fait deux sexes ?

Pour s’unir ; mais à certaines conditions requises, après certaines cérémonies préalables, en conséquence desquelles un homme appartient à une femme, et n’appartient qu’à elle ; une femme appartient à un homme, et n’appartient qu’à lui.

Pour toute leur vie ?

Pour toute leur vie.

En sorte que, s’il arrivait à une femme de coucher avec un autre que son mari, ou à un mari de coucher avec une autre que sa femme… mais cela n’arrive point, car, puisqu’il est là, et que cela lui déplaît, il sait les en empêcher.

Non ; il les laisse faire, et ils pèchent contre la loi de Dieu (car c’est ainsi que nous appelons le grand ouvrier), contre la loi du pays ; et ils commettent un crime.

Je serais fâché de t’offenser par mes discours ; mais si tu le permettais, je te dirais mon avis.

Ces préceptes singuliers, je les trouve opposés à la nature, et contraires à la raison ; faits pour multiplier les crimes, et fâcher à tout moment le vieil ouvrier, qui a tout fait sans mains, sans tête et sans outils ; qui est partout, et qu’on ne voit nulle part ; qui dure aujourd’hui et demain, et qui n’a pas un jour de plus ; qui commande et qui n’est pas obéi ; qui peut empêcher, et qui n’empêche pas. Contraires à la nature, parce qu’ils supposent qu’un être pensant, sentant et libre, peut être la propriété d’un être semblable à lui. Sur quoi ce droit serait-il fondé ? Ne vois-tu pas qu’on a confondu, dans ton pays, la chose qui n’a ni sensibilité, ni pensée, ni désir, ni volonté ; qu’on quitte, qu’on prend, qu’on garde, qu’on échange sans qu’elle souffre et sans qu’elle se plaigne, avec la chose qui ne s’échange point, ne s’acquiert point ; qui a liberté, volonté, désir ; qui peut se donner ou se refuser pour un moment ; se donner ou se refuser pour toujours ; qui se plaint et qui souffre ; et qui ne saurait devenir un effet de commerce, sans qu’on oublie son caractère, et qu’on fasse violence à la nature ? Contraires à la loi générale des êtres. Rien, en effet, te paraît-il plus insensé qu’un précepte qui proscrit le changement qui est en nous ; qui commande une constance qui n’y peut être, et qui viole la liberté du mâle et de la femelle, en les enchaînant pour jamais l’un à l’autre ; qu’une fidélité qui borne la plus capricieuse des jouissances à un même individu ; qu’un serment d’immutabilité de deux êtres de chair, à la face d’un ciel qui n’est pas un instant le même, sous des antres qui menacent ruine ; au bas d’une roche qui tombe en poudre ; au pied d’un arbre qui se gerce ; sur une pierre qui s’ébranle ? Crois-moi, vous avez rendu la condition de l’homme pire que celle de l’animal. Je ne sais ce que c’est que ton grand ouvrier : mais je me réjouis qu’il n’ait point parlé à nos pères, et je souhaite qu’il ne parle point à nos enfants ; car il pourrait par hasard leur dire les mêmes sottises, et ils feraient peut-être celle de le croire. Hier, en soupant, tu nous as entretenus de magistrats et de prêtres ; je ne sais quels sont ces personnages que tu appelles magistrats et prêtres , dont l’autorité règle votre conduite ; mais, dis-moi, sont-ils maîtres du bien et du mal ? Peuvent-ils faire que ce qui est juste soit injuste, et que ce qui est injuste soit juste ? dépend-il d’eux d’attacher le bien à des actions nuisibles, et le mal à des actions innocentes ou utiles ? Tu ne saurais le penser, car, à ce compte, il n’y aurait ni vrai ni faux, ni bon ni mauvais, ni beau ni laid ; du moins, que ce qu’il plairait à ton grand ouvrier, à les magistrats, à tes prêtres, de prononcer tel ; et, d’un moment à l’autre, tu serais obligé de changer d’idées et de conduite. Un jour l’on te dirait, de la part de l’un de tes trois maîtres : tue , et tu serais obligé, en conscience, de tuer ; un autre jour : vole  ; et tu serais tenu de voler ; ou : ne mange pas de ce fruit  ; et tu n’oserais en manger ; je te défends ce légume ou cet animal  ; et tu te garderais d’y toucher. Il n’y a point de bonté qu’on ne pût t’interdire ; point de méchanceté qu’on ne pût t’ordonner. Et où en serais-tu réduit, si tes trois maîtres, peu d’accord entre eux, s’avisaient de te permettre, de t’enjoindre et de te défendre la même chose, comme je pense qu’il arrive souvent ? Alors, pour plaire au prêtre, il faudra que tu te brouilles avec le magistrat ; pour satisfaire le magistrat, il faudra que tu mécontentes le grand ouvrier ; et pour te rendre agréable au grand ouvrier, il faudra que tu renonces à la nature. Et sais-tu ce qui en arrivera ? c’est que tu les mépriseras tous trois, et que tu ne seras ni homme, ni citoyen, ni pieux ; que tu ne seras rien ; que tu seras mal avec toutes les sortes d’autorités ; mal avec toi-même ; méchant, tourmenté par ton cœur ; persécuté par tes maîtres insensés ; et malheureux, comme je te vis hier au soir, lorsque je te présentai mes filles et ma femme, et que tu t’écriais : Mais ma religion ! mais mon état ! Veux-tu savoir, en tous temps et en tous lieux, ce qui est bon et mauvais ? Attache-toi à la nature des choses et des actions ; à tes rapports avec ton semblable ; à l’influence de ta conduite sur ton utilité particulière et le bien général. Tu es en délire, si tu crois qu’il y ait rien, soit en haut, soit en bas, dans l’univers, qui puisse ajouter ou retrancher aux lois de la nature. Sa volonté éternelle est que le bien soit préféré au mal, et le bien général au bien particulier. Tu ordonneras le contraire ; mais tu ne seras pas obéi. Tu multiplieras les malfaiteurs et les malheureux par la crainte, par les châtiments et par les remords : tu dépraveras les consciences ; tu corrompras les esprits ; ils ne sauront plus ce qu’ils ont à faire ou à éviter. Troublés dans l’état d’innocence, tranquilles dans le forfait, ils auront perdu l’étoile polaire dans leur chemin. Réponds-moi sincèrement ; en dépit des ordres exprès de tes trois législateurs, un jeune homme, dans ton pays, ne couche-t-il jamais, sans leur permission, avec une jeune fille ?

Je mentirais si je te l’assurais.

La femme, qui a juré de n’appartenir qu’à son mari, ne se donne-t-elle point à un autre ?

Rien de plus commun.

Tes législateurs sévissent ou ne sévissent pas : s’ils sévissent, ce sont des bêtes féroces qui battent la nature ; s’ils ne sévissent pas, ce sont des imbéciles qui ont exposé au mépris leur autorité par une défense inutile.

Les coupables, qui échappent à la sévérité des lois, sont châtiés par le blâme général.

C’est-à-dire que la justice s’exerce par le défaut de sens commun de toute la nation ; et que c’est la folie de l’opinion qui supplée aux lois.

La fille déshonorée ne trouve plus de mari.

Déshonorée ! et pourquoi ?

La femme infidèle est plus ou moins méprisée.

Méprisée ! et pourquoi ?

Le jeune homme s’appelle un lâche séducteur.

Un lâche ! un séducteur ! et pourquoi ?

Le père, la mère et l’enfant sont désolés. L’époux volage est un libertin : l’époux trahi partage la honte de sa femme.

Quel monstrueux tissu d’extravagances tu m’exposes là ! et encore tu ne dis pas tout : car aussitôt qu’on s’est permis de disposer à son gré des idées de justice et de propriété ; d’ôter ou de donner un caractère arbitraire aux choses ; d’unir aux actions ou d’en séparer le bien et le mal, sans consulter que le caprice, on se blâme, on s’accuse, on se suspecte, on se tyrannise, on est envieux, on est jaloux, on se trompe, on s’afflige, on se cache, on dissimule, on s’épie, on se surprend, on se querelle, on ment ; les filles en imposent à leurs parents ; les maris à leurs femmes ; les femmes à leurs maris ; des filles, oui, je n’en doute pas, des filles étoufferont leurs enfants ; des pères soupçonneux mépriseront et négligeront les leurs ; des mères s’en sépareront et les abandonneront à la merci du sort ; et le crime et la débauche se montreront sous toutes sortes de formes. Je sais tout cela, comme si j’avais vécu parmi vous. Cela est, parce que cela doit être ; et ta société, dont votre chef vous vante le bel ordre, ne sera qu’un ramas d’hypocrites, qui foulent secrètement aux pieds les lois ; ou d’infortunés, qui sont eux-mêmes les instruments de leurs supplices, en s’y soumettant ; ou d’imbéciles, en qui le préjugé a tout à fait étouffé la voix de la nature ; ou d’êtres mal organisés, en qui la nature ne réclame pas ses droits.

Cela ressemble. Mais vous ne vous mariez donc point ?

Nous nous marions.

Qu’est-ce que votre mariage ?

Le consentement d’habiter une même cabane, et de coucher dans le même lit, tant que nous nous y trouverons bien.

Et lorsque vous vous y trouvez mal ?

Nous nous séparons.

Que deviennent vos enfants ?

Ô étranger ! ta dernière question achève de me déceler la profonde misère de ton pays. Sache, mon ami, qu’ici la naissance d’un enfant est toujours un bonheur, et sa mort un sujet de regrets et de larmes. Un enfant est un bien précieux, parce qu’il doit devenir un homme ; aussi, en avons-nous un tout autre soin que de nos plantes et de nos animaux. Un enfant qui naît, occasionne la joie domestique et publique : c’est un accroissement de fortune pour la cabane, et de force pour la nation : ce sont des bras et des mains de plus dans Taïti ; nous voyons en lui un agriculteur, un pêcheur, un chasseur, un soldat, un époux, un père. En repassant de la cabane de son mari dans celle de ses parents, une femme emmène avec elle les enfants qu’elle avait apportés en dot : on partage ceux qui sont nés pendant la cohabitation commune ; et l’on compense, autant qu’il est possible, les mâles par les femelles, en sorte qu’il reste à chacun à peu près un nombre égal de filles et de garçons.

Mais les enfants sont longtemps à charge avant que de rendre service.

Nous destinons à leur entretien et à la subsistance des vieillards, une sixième partie de tous les fruits du pays ; ce tribut les suit partout. Ainsi tu vois que plus la famille du Taïtien est nombreuse, plus il est riche.

Une sixième partie !

Oui ; c’est un moyen sûr d’encourager la population, et d’intéresser au respect de la vieillesse et à la conservation des enfants.

Vos époux se reprennent-ils quelquefois ?

Très-souvent ; cependant la durée la plus courte d’un mariage est d’une lune à l’autre.

À moins que la femme ne soit grosse ; alors la cohabitation est au moins de neuf mois ?

Tu te trompes ; la paternité, comme le tribut, suit l’enfant partout.

Tu m’as parlé d’enfants qu’une femme apporte en dot à son mari.

Assurément. Voilà ma fille aînée qui a trois enfants ; ils marchent ; ils sont sains ; ils sont beaux ; ils promettent d’être forts : lorsqu’il lui prendra fantaisie de se marier, elle les emmènera ; ils sont les siens : son mari les recevra avec joie, et sa femme ne lui en serait que plus agréable, si elle était enceinte d’un quatrième.

De lui ?

De lui, ou d’un autre. Plus nos filles ont d’enfants, plus elles sont recherchées ; plus nos garçons sont vigoureux et forts, plus ils sont riches : aussi, autant nous sommes attentifs à préserver les unes des approches de l’homme, les autres du commerce de la femme, avant l’âge de fécondité ; autant nous les exhortons à produire, lorsque les garçons sont pubères et les filles nubiles. Tu ne saurais croire l’importance du service que tu auras rendu à ma fille Thia, si tu lui as fait un enfant. Sa mère ne lui dira plus à chaque lune : Mais, Thia, à quoi penses-tu donc ? Tu ne deviens point grosse ; tu as dix-neuf ans ; tu devrais avoir déjà deux enfants, et tu n’en as point. Quel est celui qui se chargera de toi ? Si tu perds ainsi tes jeunes ans, que feras-tu dans ta vieillesse ? Thia, il faut que tu aies quelque défaut qui éloigne de toi les hommes. Corrige-toi, mon enfant : à ton âge, j’avais été trois fois mère.

Quelles précautions prenez-vous pour garder vos filles et vos garçons adolescents ?

C’est l’objet principal de l’éducation domestique et le point le plus important des mœurs publiques. Nos garçons, jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, deux ou trois ans au delà de la puberté, restent couverts d’une longue tunique, et les reins ceints d’une petite chaîne. Avant que d’être nubiles, nos filles n’oseraient sortir sans un voile blanc. Ôter sa chaîne, lever son voile, sont des fautes qui se commettent rarement, parce que nous leur en apprenons de bonne heure les fâcheuses conséquences. Mais au moment où le mâle a pris toute sa force, où les symptômes virils ont de la continuité, et où l’effusion fréquente et la qualité de la liqueur séminale nous rassurent ; au moment où la jeune fille se fane, s’ennuie, est d’une maturité propre à concevoir des désirs, à en inspirer et à les satisfaire avec utilité, le père détache la chaîne à son fils et lui coupe l’ongle du doigt du milieu de la main droite. La mère relève le voile de sa fille. L’un peut solliciter une femme, et en être sollicité ; l’autre, se promener publiquement le visage découvert et la gorge nue, accepter ou refuser les caresses d’un homme. On indique seulement d’avance, au garçon les filles, à la fille les garçons, qu’ils doivent préférer. C’est une grande fête que le jour de l’émancipation d’une fille ou d’un garçon. Si c’est une fille, la veille, les jeunes garçons se rassemblent autour de la cabane, et l’air retentit pendant toute la nuit du chant des voix et du son des instruments. Le jour, elle est conduite par son père et par sa mère dans une enceinte où l’on danse et où l’on fait l’exercice du saut, de la lutte et de la course. On déploie l’homme nu devant elle, sous toutes les faces et dans toutes les attitudes. Si c’est un garçon, ce sont les jeunes filles qui font en sa présence les frais et les honneurs de la fête et exposent à ses regards la femme nue, sans réserve et sans secret. Le reste de la cérémonie s’achève sur un lit de feuilles, comme tu l’as vu à ta descente parmi nous. À la chute du jour, la fille rentre dans la cabane de ses parents, ou passe dans la cabane de celui dont elle a fait choix, et y reste tant qu’elle s’y plaît.

Ainsi cette fête est ou n’est point un jour de mariage ?

Tu l’as dit…

— A . Qu’est-ce que je vois là en marge ?

B . C’est une note, où le bon aumônier dit que les préceptes des parents sur le choix des garçons et des filles étaient pleins de bon sens et d’observations très-fines et très-utiles ; mais qu’il a supprimé ce catéchisme, qui aurait paru à des gens aussi corrompus et aussi superficiels que nous, d’une licence impardonnable ; ajoutant toutefois que ce n’était pas sans regret qu’il avait retranché des détails où l’on aurait vu, premièrement, jusqu’où une nation, qui s’occupe sans cesse d’un objet important, peut être conduite dans ses recherches, sans les secours de la physique et de l’anatomie ; secondement, la différence des idées de la beauté dans une contrée où l’on rapporte les formes au plaisir d’un moment, et chez un peuple où elles sont appréciées d’après une utilité plus constante. Là, pour être belle, on exige un teint éclatant, un grand front, de grands yeux, les traits fins et délicats, une taille légère, une petite bouche, de petites mains, un petit pied… Ici, presque aucun de ces éléments n’entre en calcul. La femme sur laquelle les regards s’attachent et que le désir poursuit, est celle qui promet beaucoup d’enfants (la femme du cardinal d’Ossat), et qui les promet actifs, intelligents, courageux, sains et robustes. Il n’y a presque rien de commun entre la Vénus d’Athènes et celle de Taïti ; l’une est Vénus galante, l’autre est Vénus féconde. Une Taïtienne disait un jour avec mépris à une autre femme du pays : « Tu es belle, mais tu fais de laids enfants ; je suis laide, mais je fais de beaux enfants, et c’est moi que les hommes préfèrent. »

Après cette note de l’aumônier, Orou continue :

L’heureux moment pour une jeune fille et pour ses parents, que celui où sa grossesse est constatée ! Elle se lève ; elle accourt ; elle jette ses bras autour du cou de sa mère et de son père ; c’est avec des transports d’une joie mutuelle, qu’elle leur annonce et qu’ils apprennent cet événement. Maman ! mon papa ! embrassez-moi ; je suis grosse ! — Est-il bien vrai ? — Très-vrai. — Et de qui l’êtes-vous ? — Je le suis d’un tel…

Comment peut-elle nommer le père de son enfant ?

Pourquoi veux-tu qu’elle l’ignore ? Il en est de la durée de nos amours comme de celle de nos mariages ; elle est au moins d’une lune à la lune suivante.

Et cette règle est bien scrupuleusement observée ?

Tu vas en juger. D’abord, l’intervalle de deux lunes n’est pas long ; mais lorsque deux pères ont une prétention bien fondée à la formation d’un enfant, il n’appartient plus à sa mère.

À qui appartient-il donc ?

À celui des deux à qui il lui plaît de le donner ; voilà tout son privilège : et un enfant étant par lui-même un objet d’intérêt et de richesse, tu conçois que, parmi nous, les libertines sont rares, et que les jeunes garçons s’en éloignent.

Vous avez donc aussi vos libertines ? J’en suis bien aise.

Nous en avons même de plus d’une sorte : mais tu m’écartes de mon sujet. Lorsqu’une de nos filles est grosse, si le père de l’enfant est un jeune homme beau, bien fait, brave, intelligent et laborieux, l’espérance que l’enfant héritera des vertus de son père renouvelle l’allégresse. Notre enfant n’a honte que d’un mauvais choix. Tu dois concevoir quel prix nous attachons à la santé, à la beauté, à la force, à l’industrie, au courage ; tu dois concevoir comment, sans que nous nous en mêlions, les prérogatives du sang doivent s’éterniser parmi nous. Toi qui as parcouru diverses contrées, dis-moi si tu as remarqué dans aucune autant de beaux hommes et autant de belles femmes que dans Taïti ! Regarde-moi : comment me trouves-tu ? Eh bien ! il y a dix mille hommes ici plus grands, aussi robustes ; mais pas un plus brave que moi ; aussi les mères me désignent-elles souvent à leurs filles.

Mais de tous ces enfants que tu peux avoir faits hors de ta cabane, que t’en revient-il ?

Le quatrième, mâle ou femelle. Il s’est établi parmi nous une circulation d’hommes, de femmes et d’enfants, ou de bras de tout âge et de toute fonction, qui est bien d’une autre importance que celle de vos denrées qui n’en sont que le produit.

Je le conçois. Qu’est-ce que c’est que ces voiles noirs que j’ai rencontrés quelquefois.

Le signe de la stérilité, vice de naissance, ou suite de l’âge avancé. Celle qui quitte ce voile et se mêle avec les hommes, est une libertine, celui qui relève ce voile et s’approche de la femme stérile, est un libertin.

Et ces voiles gris ?

Le signe de la maladie périodique. Celle qui quitte ce voile, et se mêle avec les hommes, est une libertine ; celui qui le relève, et s’approche de la femme malade, est un libertin.

Avez-vous des châtiments pour ce libertinage ?

Point d’autre que le blâme.

Un père peut-il coucher avec sa fille, une mère avec son fils, un frère avec sa sœur, un mari avec la femme d’un autre ?

Pourquoi non ?

Passe pour la fornication ; mais l’inceste, mais l’adultère !

Qu’est-ce que tu veux dire avec tes mots, fornication, inceste, adultère ?

Des crimes, des crimes énormes, pour l’un desquels on brûle dans mon pays.

Qu’on brûle ou qu’on ne brûle pas dans ton pays, peu m’importe. Mais tu n’accuseras pas les mœurs d’Europe par celles de Taïti, ni par conséquent les mœurs de Taïti par celles de ton pays : il nous faut une règle plus sûre ; et quelle sera cette règle ? En connais-tu une autre que le bien général et l’utilité particulière ? À présent, dis-moi ce que ton crime inceste a de contraire à ces deux fins de nos actions ? Tu te trompes, mon ami, si tu crois qu’une loi une fois publiée, un mot ignominieux inventé, un supplice décerné, tout est dit. Réponds-moi donc, qu’entends-tu par inceste  ?

Mais un inceste …

Un inceste  ?… Y a-t-il longtemps que ton grand ouvrier sans tête, sans mains et sans outils, a fait le monde ?

Fit-il toute l’espèce humaine à la fois ?

Non. Il créa seulement une femme et un homme.

Eurent-ils des enfants ?

Assurément.

Supposons que ces deux premiers parents n’aient eu que des filles, et que leur mère soit morte la première ; ou qu’ils n’aient eu que des garçons, et que la femme ait perdu son mari.

Tu m’embarrasses ; mais tu as beau dire, l’ inceste est un crime abominable, et parlons d’autre chose.

Cela te plaît à dire ; je me tais, moi, tant que tu ne m’auras pas dit ce que c’est que le crime abominable inceste .

Eh bien ! je t’accorde que peut-être l’ inceste ne blesse en rien la nature ; mais ne suffit-il pas qu’il menace la constitution politique ? Que deviendraient la sûreté d’un chef et la tranquillité d’un État, si toute une nation composée de plusieurs millions d’hommes, se trouvait rassemblée autour d’une cinquantaine de pères de famille.

Le pis-aller, c’est qu’où il n’y a qu’une grande société, il y en aurait cinquante petites, plus de bonheur et un crime de moins.

Je crois cependant que, même ici, un fils couche rarement avec sa mère.

À moins qu’il n’ait beaucoup de respect pour elle, et une tendresse qui lui fasse oublier la disparité d’âge, et préférer une femme de quarante ans à une fille de dix-neuf.

Et le commerce des pères avec leurs filles ?

Guère plus fréquent, à moins que la fille ne soit laide et peu recherchée. Si son père l’aime, il s’occupe à lui préparer sa dot en enfants.

Cela me fait imaginer que le sort des femmes que la nature a disgraciées ne doit pas être heureux dans Taïti.

Cela me prouve que tu n’as pas une haute opinion de la générosité de nos jeunes gens.

Pour les unions de frères et de sœurs, je ne doute pas qu’elles ne soient très-communes.

Et très-approuvées.

À t’entendre, cette passion, qui produit tant de crimes et de maux dans nos contrées, serait ici tout à fait innocente.

Étranger ! tu manques de jugement et de mémoire : de jugement, car, partout où il y a défense, il faut qu’on soit tenté de faire la chose défendue et qu’on la fasse : de mémoire, puisque tu ne te souviens plus de ce que je t’ai dit. Nous avons des vieilles dissolues, qui sortent la nuit sans leur voile noir, et reçoivent des hommes, lorsqu’il ne peut rien résulter de leur approche ; si elles sont reconnues ou surprises, l’exil au nord de l’île, ou l’esclavage, est leur châtiment : des filles précoces, qui relèvent leur voile blanc à l’insu de leurs parents (et nous avons pour elles un lieu fermé dans la cabane) ; des jeunes gens, qui déposent leur chaîne avant le temps prescrit par la nature et par la loi (et nous en réprimandons leurs parents) ; des femmes à qui le temps de la grossesse paraît long ; des femmes et des filles peu scrupuleuses à garder leur voile gris ; mais, dans le fait, nous n’attachons pas une grande importance à toutes ces fautes ; et tu ne saurais croire combien l’idée de richesse particulière ou publique, unie dans nos têtes à l’idée de population, épure nos mœurs sur ce point.

La passion de deux hommes pour une même femme, ou le goût de deux femmes ou de deux filles pour un même homme, n’occasionnent-ils point de désordres ?

Je n’en ai pas encore vu quatre exemples : le choix de la femme ou celui de l’homme finit tout. La violence d’un homme serait une faute grave ; mais il faut une plainte publique, et il est presque inouï qu’une fille ou qu’une femme se soit plainte. La seule chose que j’aie remarquée, c’est que nos femmes ont moins de pitié des hommes laids, que nos jeunes gens des femmes disgraciées ; et nous n’en sommes pas fâchés.

Vous ne connaissez guère la jalousie, à ce que je vois ; mais la tendresse maritale, l’amour maternel, ces deux sentiments si puissants et si doux, s’ils ne sont pas étrangers ici, y doivent être assez faibles.

Nous y avons suppléé par un autre, qui est tout autrement général, énergique et durable, l’intérêt. Mets la main sur la conscience ; laisse là cette fanfaronnade de vertu, qui est sans cesse sur les lèvres de tes camarades, et qui ne réside pas au fond de leur cœur. Dis-moi si, dans quelque contrée que ce soit, il y a un père qui, sans la honte qui le retient, n’aimât mieux perdre son enfant, un mari qui n’aimât mieux perdre sa femme, que sa fortune et l’aisance de toute sa vie. Sois sûr que partout où l’homme sera attaché à la conservation de son semblable comme à son lit, à sa santé, à son repos, à sa cabane, à ses fruits, à ses champs, il fera pour lui tout ce qu’il sera possible de faire. C’est ici que les pleurs trempent la couche d’un enfant qui souffre ; c’est ici que les mères sont soignées dans la maladie ; c’est ici qu’on prise une femme féconde, une fille nubile, un garçon adolescent ; c’est ici qu’on s’occupe de leur institution, parce que leur conservation est toujours un accroissement, et leur perte toujours une diminution de fortune.

Je crains bien que ce sauvage n’ait raison. Le paysan misérable de nos contrées, qui excède sa femme pour soulager son cheval, laisse périr son enfant sans secours, et appelle le médecin pour son bœuf.

Je n’entends pas trop ce que tu viens de dire ; mais, à ton retour dans ta patrie si bien policée, tâche d’y introduire ce ressort ; et c’est alors qu’on y sentira le prix de l’enfant qui naît, et l’importance de la population. Veux-tu que je te révèle un secret ? mais prends garde qu’il ne t’échappe. Vous arrivez : nous vous abandonnons nos femmes et nos filles ; vous vous en étonnez ; vous nous en témoignez une gratitude qui nous fait rire : vous nous remerciez, lorsque nous asseyons sur toi et sur tes compagnons la plus forte de toutes les impositions. Nous ne t’avons point demandé d’argent ; nous ne nous sommes point jetés sur tes marchandises ; nous avons méprisé tes denrées : mais nos femmes et nos filles sont venues exprimer le sang de tes veines. Quand tu t’éloigneras, tu nous auras laissé des enfants : ce tribut levé sur ta personne, sur ta propre substance, à ton avis, n’en vaut-il pas bien un autre ? Et si tu veux en apprécier la valeur, imagine que tu aies deux cents lieues de côtes à courir, et qu’à chaque vingt milles on te mette à pareille contribution. Nous avons des terres immenses en friche ; nous manquons de bras ; et nous t’en avons demandé. Nous avons des calamités épidémiques à réparer ; et nous t’avons employé à réparer le vide qu’elles laisseront. Nous avons des ennemis voisins à combattre, un besoin de soldats ; et nous t’avons prié de nous en faire : le nombre de nos femmes et de nos filles est trop grand pour celui des hommes ; et nous t’avons associé à notre tâche. Parmi ces femmes et ces filles, il y en a dont nous n’avons pu obtenir d’enfants ; et ce sont celles que nous avons exposées à vos premiers embrassements. Nous avons à payer une redevance en hommes à un voisin oppresseur ; c’est toi et tes camarades qui nous défrayerez ; et dans cinq ou six ans, nous lui enverrons vos fils, s’ils valent moins que les nôtres. Plus robustes, plus sains que vous, nous nous sommes aperçus que vous nous surpassiez en intelligence ; et, sur-le-champ, nous avons destiné quelques-unes de nos femmes et de nos filles les plus belles à recueillir la semence d’une race meilleure que la nôtre. C’est un essai que nous avons tenté, et qui pourra nous réussir. Nous avons tiré de toi et des tiens le seul parti que nous en pouvions tirer : et crois que, tout sauvages que nous sommes, nous savons aussi calculer. Va où tu voudras ; et tu trouveras toujours l’homme aussi fin que toi. Il ne te donnera jamais que ce qui ne lui est bon à rien, et te demandera toujours ce qui lui est utile. S’il te présente un morceau d’or pour un morceau de fer ; c’est qu’il ne fait aucun cas de l’or, et qu’il prise le fer. Mais dis-moi donc pourquoi tu n’es pas vêtu comme les autres ? Que signifie cette casaque longue qui t’enveloppe de la tête aux pieds, et ce sac pointu que tu laisses tomber sur tes épaules, ou que tu ramènes sur tes oreilles ?

C’est que, tel que tu me vois, je me suis engagé dans une société d’hommes qu’on appelle, dans mon pays, des moines. Le plus sacré de leurs vœux est de n’approcher d’aucune femme, et de ne point faire d’enfants.

Que faites-vous donc ?

Et ton magistrat souffre cette espèce de paresse, la pire de toutes ?

Il fait plus ; il la respecte et la fait respecter.

Ma première pensée était que la nature, quelque accident, ou un art cruel vous avait privés de la faculté de produire votre semblable ; et que, par pitié, on aimait mieux vous laisser vivre que de vous tuer. Mais, moine, ma fille m’a dit que tu étais un homme, et un homme aussi robuste qu’un Taïtien, et qu’elle espérait que tes caresses réitérées ne seraient pas infructueuses. À présent que j’ai compris pourquoi tu t’es écrié hier au soir : Mais ma religion  ! mais mon état  ! pourrais-tu m’apprendre le motif de la faveur et du respect que les magistrats vous accordent ?

Je l’ignore.

Tu sais au moins par quelle raison, étant homme, tu t’es librement condamné à ne pas l’être ?

Cela serait trop long et trop difficile à t’expliquer.

Et ce vœu de stérilité, le moine y est-il bien fidèle ?

J’en étais sûr. Avez-vous aussi des moines femelles ?

Aussi sages que les moines mâles ?

Plus renfermées, elles sèchent de douleur, périssent d’ennui.

Et l’injure faite à la nature est vengée. Oh ! le vilain pays ! Si tout y est ordonné comme ce que tu m’en dis, vous êtes plus barbares que nous.

Le bon aumônier raconte qu’il passa le reste de la journée à parcourir l’île, à visiter les cabanes, et que le soir, après avoir soupé, le père et la mère l’ayant supplié de coucher avec la seconde de leurs filles, Palli s’était présentée dans le même déshabillé que Thia, et qu’il s’était écrié plusieurs fois pendant la nuit : Mais ma religion  ! mais mon état  ! que la troisième nuit il avait été agité des mêmes remords avec Asto l’aînée, et que la quatrième nuit il l’avait accordée par honnêteté à la femme de son hôte.

A . J’estime cet aumônier poli.

B . Et moi, beaucoup davantage les mœurs des Taïtiens, et le discours d’Orou.

A . Quoique un peu modelé à l’européenne.

B . Je n’en doute pas.

— Ici le bon aumônier se plaint de la brièveté de son séjour dans Taïti, et de la difficulté de mieux connaître les usages d’un peuple assez sage pour s’être arrêté de lui-même à la médiocrité, ou assez heureux pour habiter un climat dont la fertilité lui assurait un long engourdissement, assez actif pour s’être mis à l’abri des besoins absolus de la vie, et assez indolent pour que son innocence, son repos et sa félicité n’eussent rien à redouter d’un progrès trop rapide de ses lumières. Rien n’y était mal par l’opinion et par la loi, que ce qui était mal de sa nature. Les travaux et les récoltes s’y faisaient en commun. L’acception du mot propriété y était très-étroite ; la passion de l’amour, réduite à un simple appétit physique, n’y produisait aucun de nos désordres. L’île entière offrait l’image d’une seule famille nombreuse, dont chaque cabane représentait les divers appartements d’une de nos grandes maisons. Il finit par protester que ces Taïtiens seront toujours présents à sa mémoire, qu’il avait été tenté de jeter ses vêtements dans le vaisseau et de passer le reste de ses jours parmi eux, et qu’il craint bien de se repentir plus d’une fois de ne l’avoir pas fait.

A . Malgré cet éloge, quelles conséquences utiles à tirer des mœurs et des usages bizarres d’un peuple non civilisé ?

B . Je vois qu’aussitôt que quelques causes physiques, telles, par exemple, que la nécessité de vaincre l’ingratitude du sol, ont mis en jeu la sagacité de l’homme, cet élan le conduit bien au delà du but, et que, le terme du besoin passé, on est porté dans l’océan sans bornes des fantaisies, d’où l’on ne se retire plus. Puisse l’heureux Taïtien s’arrêter où il en est ! Je vois qu’excepté dans ce recoin écarté de notre globe, il n’y a point eu de mœurs, et qu’il n’y en aura peut-être jamais nulle part.

A . Qu’entendez-vous donc par des mœurs ?

B . J’entends une soumission générale et une conduite conséquente à des lois bonnes ou mauvaises. Si les lois sont bonnes, les mœurs sont bonnes ; si les lois sont mauvaises, les mœurs sont mauvaises ; si les lois, bonnes ou mauvaises, ne sont point observées, la pire condition d’une société, il n’y a point de mœurs. Or, comment voulez-vous que des lois s’observent quand elles se contredisent ? Parcourez l’histoire des siècles et des nations tant anciennes que modernes, et vous trouverez les hommes assujettis à trois codes, le code de la nature, le code civil, et le code religieux, et contraints d’enfreindre alternativement ces trois codes qui n’ont jamais été d’accord ; d’où il est arrivé qu’il n’y a eu dans aucune contrée, comme Orou l’a deviné de la nôtre, ni homme, ni citoyen, ni religieux.

A . D’où vous conclurez, sans doute, qu’en fondant la morale sur les rapports éternels, qui subsistent entre les hommes, la loi religieuse devient peut-être superflue ; et que la loi civile ne doit être que renonciation de la loi de nature.

B . Et cela, sous peine de multiplier les méchants, au lieu de faire des bons.

A. Ou que, si l’on juge nécessaire de les conserver toutes trois, il faut que les deux dernières ne soient que des calques rigoureux de la première, que nous apportons gravée au fond de nos cœurs, et qui sera toujours la plus forte.

B . Cela n’est pas exact. Nous n’apportons en naissant qu’une similitude d’organisation avec d’autres êtres, les mêmes besoins, de l’attrait vers les mêmes plaisirs, une aversion commune pour les mêmes peines : voilà ce qui constitue l’homme ce qu’il est, et doit fonder la morale qui lui convient.

A . Cela n’est pas aisé.

B . Cela est si difficile, que je croirais volontiers le peuple le plus sauvage de la terre, le Taïtien qui s’en est tenu scrupuleusement à la loi de la nature, plus voisin d’une bonne législation qu’aucun peuple civilisé.

A . Parce qu’il lui est plus facile de se défaire de son trop de rusticité, qu’à nous de revenir sur nos pas et de réformer nos abus.

B . Surtout ceux qui tiennent à l’union de l’homme et de la femme.

A . Cela se peut. Mais commençons par le commencement. Interrogeons bonnement la nature, et voyons sans partialité ce qu’elle nous répondra sur ce point.

B . J’y consens.

A . Le mariage est-il dans la nature ?

B . Si vous entendez par le mariage la préférence qu’une femelle accorde à un mâle sur tous les autres mâles, ou celle qu’un mâle donne à une femelle sur toutes les autres femelles ; préférence mutuelle, en conséquence de laquelle il se forme une union plus ou moins durable, qui perpétue l’espèce par la reproduction des individus, le mariage est dans la nature.

A . Je le pense comme vous ; car cette préférence se remarque non-seulement dans l’espèce humaine, mais encore dans les autres espèces d’animaux : témoin ce nombreux cortège de mâles qui poursuivent une même femelle au printemps dans nos campagnes, et dont un seul obtient le titre de mari. Et la galanterie ?

B . Si vous entendez par galanterie cette variété de moyens énergiques ou délicats que la passion inspire, soit au mâle, soit à la femelle, pour obtenir cette préférence qui conduit à la plus douce, la plus importante et la plus générale des jouissances ; la galanterie est dans la nature.

A . Je le pense comme vous. Témoin cette diversité de gentillesses pratiquées par le mâle pour plaire à la femelle ; par la femelle pour irriter la passion et fixer le goût du mâle. Et la coquetterie ?

B . C’est un mensonge qui consiste à simuler une passion qu’on ne sent pas, et à promettre une préférence qu’on n’accordera pas. Le mâle coquet se joue de la femelle ; la femelle coquette se joue du mâle : jeu perfide qui amène quelquefois les catastrophes les plus funestes ; manège ridicule, dont le trompeur et le trompé sont également châtiés par la perte des instants les plus précieux de leur vie.

A . Ainsi la coquetterie, selon vous, n’est pas dans la nature ?

B . Je ne dis pas cela.

A . Et la constance ?

B . Je ne vous en dirai rien de mieux que ce qu’en a dit Orou à l’aumônier. Pauvre vanité de deux enfants qui s’ignorent eux-mêmes, et que l’ivresse d’un instant aveugle sur l’instabilité de tout ce qui les entoure !

A . Et la fidélité, ce rare phénomène ?

B . Presque toujours l’entêtement et le supplice de l’honnête homme et de l’honnête femme dans nos contrées ; chimère à Taïti.

A . Et la jalousie ?

B . Passion d’un animal indigent et avare qui craint de manquer ; sentiment injuste de l’homme ; conséquence de nos fausses mœurs, et d’un droit de propriété étendu sur un objet sentant, pensant, voulant, et libre.

A . Ainsi la jalousie, selon vous, n’est pas dans la nature ?

B . Je ne dis pas cela. Vices et vertus, tout est également dans la nature.

A . Le jaloux est sombre.

B . Comme le tyran, parce qu’il en a la conscience.

A . La pudeur ?

B . Mais vous m’engagez là dans un cours de morale galante. L’homme ne veut être ni troublé ni distrait dans ses jouissances. Celles de l’amour sont suivies d’une faiblesse qui l’abandonnerait à la merci de son ennemi. Voilà tout ce qu’il peut y avoir de naturel dans la pudeur : le reste est d’institution.

— L’aumônier remarque, dans un troisième morceau que je ne vous ai point lu, que le Taïtien ne rougit pas des mouvements involontaires qui s’excitent en lui à côté de sa femme, au milieu de ses filles ; et que celles-ci en sont spectatrices, quelquefois émues, jamais embarrassées. Aussitôt que la femme devint la propriété de l’homme, et que la jouissance furtive d’une fille fut regardée comme un vol, on vit naître les termes pudeur, retenue, bienséance  ; des vertus et des vices imaginaires ; en un mot, on voulut élever entre les deux sexes, des barrières qui les empêchassent de s’inviter réciproquement à la violation des lois qu’on leur avait imposées, et qui produisirent souvent un effet contraire, en échauffant l’imagination et en irritant les désirs. Lorsque je vois des arbres plantés autour de nos palais, et un vêtement de cou qui cache et montre une partie de la gorge d’une femme, il me semble reconnaître un retour secret vers la forêt, et un appel à la liberté première de notre ancienne demeure. Le Taïtien nous dirait : Pourquoi te caches-tu ? de quoi es-tu honteux ? fais-tu le mal, quand tu cèdes à l’impulsion la plus auguste de la nature ? Homme, présente-toi franchement si tu plais. Femme, si cet homme te convient, reçois-le avec la même franchise.

A . Ne vous fâchez pas. Si nous débutons comme des hommes civilisés, il est rare que nous ne finissions pas comme le Taïtien.

B . Oui, ces préliminaires de convention consument la moitié de la vie d’un homme de génie.

A . J’en conviens ; mais qu’importe, si cet élan pernicieux de l’esprit humain, contre lequel vous vous êtes récrié tout à l’heure, en est d’autant plus ralenti ? Un philosophe de nos jours, interrogé pourquoi les hommes faisaient la cour aux femmes, et non les femmes la cour aux hommes, répondit qu’il était naturel de demander à celui qui pouvait toujours accorder.

B . Cette raison m’a paru de tout temps plus ingénieuse que solide. La nature, indécente si vous voulez, pousse indistinctement un sexe vers l’autre : et dans un état de l’homme brute et sauvage qui se conçoit, mais qui n’existe peut-être nulle part…

A . Pas même à Taïti ?

B . Non… l’intervalle qui séparerait un homme d’une femme serait franchi par le plus amoureux. S’ils s’attendent, s’ils se fuient, s’ils se poursuivent, s’ils s’évitent, s’ils s’attaquent, s’ils se défendent, c’est que la passion, inégale dans ses progrès, ne s’applique pas en eux de la même force. D’où il arrive que la volupté se répand, se consomme et s’éteint d’un côté, lorsqu’elle commence à peine à s’élever de l’autre, et qu’ils en restent tristes tous deux. Voilà l’image fidèle de ce qui se passerait entre deux êtres jeunes, libres et parfaitement innocents. Mais lorsque la femme a connu, par l’expérience ou l’éducation, les suites plus ou moins cruelles d’un moment doux, son cœur frissonne à l’approche de l’homme. Le cœur de l’homme ne frissonne point ; ses sens commandent, et il obéit. Les sens de la femme s’expliquent, et elle craint de les écouter. C’est l’affaire de l’homme que de la distraire de sa crainte, de l’enivrer et de la séduire. L’homme conserve toute son impulsion naturelle vers la femme ; l’impulsion naturelle de la femme vers l’homme, dirait un géomètre, est en raison composée de la directe de la passion et de l’inverse de la crainte ; raison qui se complique d’une multitude d’éléments divers dans nos sociétés ; éléments qui concourent presque tous à accroître la pusillanimité d’un sexe et la durée de la poursuite de l’autre. C’est une espèce de tactique où les ressources de la défense et les moyens de l’attaque ont marché sur la même ligne. On a consacré la résistance de la femme ; on a attaché l’ignominie à la violence de l’homme ; violence qui ne serait qu’une injure légère dans Taïti, et qui devient un crime dans nos cités.

A . Mais comment est-il arrivé qu’un acte dont le but est si solennel, et auquel la nature nous invite par l’attrait le plus puissant ; que le plus grand, le plus doux, le plus innocent des plaisirs soit devenu la source la plus féconde de notre dépravation et de nos maux ?

B . Orou l’a fait entendre dix fois à l’aumônier : écoutez-le donc encore, et tâchez de le retenir.

C’est par la tyrannie de l’homme, qui a converti la possession de la femme en une propriété.

Par les mœurs et les usages, qui ont surchargé de conditions l’union conjugale.

Par les lois civiles, qui ont assujetti le mariage à une infinité de formalités.

Par la nature de notre société, où la diversité des fortunes et des rangs a institué des convenances et des disconvenances.

Par une contradiction bizarre et commune à toutes les sociétés subsistantes, où la naissance d’un enfant, toujours regardée comme un accroissement de richesses pour la nation, est plus souvent et plus sûrement encore un accroissement d’indigence dans la famille.

Par les vues politiques des souverains, qui ont tout rapporté à leur intérêt et à leur sécurité.

Par les institutions religieuses, qui ont attaché les noms de vices et de vertus à des actions qui n’étaient susceptibles d’aucune moralité.

Combien nous sommes loin de la nature et du bonheur ! L’empire de la nature ne peut être détruit : on aura beau le contrarier par des obstacles, il durera. Écrivez tant qu’il vous plaira sur des tables d’airain, pour me servir des expressions du sage Marc-Aurèle, que le frottement voluptueux de deux intestins est un crime, le cœur de l’homme sera froissé entre la menace de votre inscription et la violence de ses penchants. Mais ce cœur indocile ne cessera de réclamer ; et cent fois, dans le cours de la vie, vos caractères effrayants disparaîtront à nos yeux. Gravez sur le marbre : Tu ne mangeras ni de l’ixion [7] , ni du griffon ; tu ne connaîtras que ta femme ; tu ne seras point le mari de ta sœur : mais vous n’oublierez pas d’accroître les châtiments à proportion de la bizarrerie de vos défenses ; vous deviendrez féroces, et vous ne réussirez point à me dénaturer.

A . Que le code des nations serait court, si on le conformait rigoureusement à celui de la nature ! combien d’erreurs et de vices épargnés à l’homme !

B . Voulez-vous savoir l’histoire abrégée de presque toute notre misère ? La voici. Il existait un homme naturel : on a introduit au dedans de cet homme un homme artificiel ; et il s’est élevé dans la caverne une guerre civile qui dure toute la vie. Tantôt l’homme naturel est le plus fort ; tantôt il est terrassé par l’homme moral et artificiel ; et, dans l’un et l’autre cas, le triste monstre est tiraillé, tenaillé, tourmenté, étendu sur la roue ; sans cesse gémissant, sans cesse malheureux, soit qu’un faux enthousiasme de gloire le transporte et l’enivre, ou qu’une fausse ignominie le courbe et l’abatte. Cependant il est des circonstances extrêmes qui ramènent l’homme à sa première simplicité.

A . La misère et la maladie, deux grands exorcistes.

B . Vous les avez nommés. En effet, que deviennent alors toutes ces vertus conventionnelles ? Dans la misère, l’homme est sans remords ; et dans la maladie, la femme est sans pudeur.

A . Je l’ai remarqué.

B . Mais un autre phénomène qui ne vous aura pas échappé davantage, c’est que le retour de l’homme artificiel et moral suit pas à pas les progrès de l’état de maladie à l’état de convalescence et de l’état de convalescence à l’état de santé. Le moment où l’infirmité cesse est celui où la guerre intestine recommence, et presque toujours avec désavantage pour l’intrus.

A . Il est vrai. J’ai moi-même éprouvé que l’homme naturel avait dans la convalescence une vigueur funeste pour l’homme artificiel et moral. Mais enfin, dites-moi, faut-il civiliser l’homme, ou l’abandonner à son instinct ?

B . Faut-il vous répondre net ?

A . Sans doute.

B . Si vous vous proposez d’en être le tyran, civilisez-le ; empoisonnez-le de votre mieux d’une morale contraire à la nature ; faites-lui des entraves de toute espèce ; embarrassez ses mouvements de mille obstacles ; attachez-lui des fantômes qui l’effraient ; éternisez la guerre dans la caverne, et que l’homme naturel y soit toujours enchaîné sous les pieds de l’homme moral. Le voulez-vous heureux et libre ? ne vous mêlez pas de ses affaires : assez d’incidents imprévus le conduiront à la lumière et à la dépravation ; et demeurez à jamais convaincu que ce n’est pas pour vous, mais pour eux, que ces sages législateurs vous ont pétri et maniéré comme vous l’êtes. J’en appelle à toutes les institutions politiques, civiles et religieuses : examinez-les profondément ; et je me trompe fort, ou vous y verrez l’espèce humaine pliée de siècle en siècle au joug qu’une poignée de fripons se promettait de lui imposer. Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l’ordre. Ordonner, c’est toujours se rendre le maître des autres en les gênant : et les Calabrais sont presque les seuls à qui la flatterie des législateurs n’en ait point encore imposé.

A . Et cette anarchie de la Calabre vous plaît ?

B . J’en appelle à l’expérience ; et je gage que leur barbarie est moins vicieuse que notre urbanité. Combien de petites scélératesses compensent ici l’atrocité de quelques grands crimes dont on fait tant de bruit ! Je considère les hommes non civilisés comme une multitude de ressorts épars et isolés. Sans doute, s’il arrivait à quelques-uns de ces ressorts de se choquer, l’un ou l’autre, ou tous les deux, se briseraient. Pour obvier à cet inconvénient, un individu d’une sagesse profonde et d’un génie sublime rassembla ces ressorts et en composa une machine, et dans cette machine appelée société, tous les ressorts furent rendus agissants, réagissants les uns contre les autres, sans cesse fatigués ; et il s’en rompit plus dans un jour, sous l’état de législation, qu’il ne s’en rompait en un an sous l’anarchie de nature. Mais quel fracas ! quel ravage ! quelle énorme destruction des petits ressorts, lorsque deux, trois, quatre de ces énormes machines vinrent à se heurter avec violence !

A . Ainsi vous préféreriez l’état de nature brute et sauvage ?

B . Ma foi, je n’oserais prononcer ; mais je sais qu’on a vu plusieurs fois l’homme des villes se dépouiller et rentrer dans la forêt, et qu’on n’a jamais vu l’homme de la forêt se vêtir et s’établir dans la ville.

A . Il m’est venu souvent dans la pensée que la somme des biens et des maux était variable pour chaque individu ; mais que le bonheur ou le malheur d’une espèce animale quelconque avait sa limite qu’elle ne pouvait franchir, et que peut-être nos efforts nous rendaient en dernier résultat autant d’inconvénient que d’avantage ; en sorte que nous nous étions bien tourmentés pour accroître les deux membres d’une équation, entre lesquels il subsistait une éternelle et nécessaire égalité. Cependant je ne doute pas que la vie moyenne de l’homme civilisé ne soit plus longue que la vie moyenne de l’homme sauvage.

B . Et si la durée d’une machine n’est pas une juste mesure de son plus ou moins de fatigue, qu’en concluez-vous ?

A . Je vois qu’à tout prendre, vous inclineriez à croire les hommes d’autant plus méchants et plus malheureux qu’ils sont plus civilisés ?

B . Je ne parcourrai point toutes les contrées de l’univers ; mais je vous avertis seulement que vous ne trouverez la condition de l’homme heureuse que dans Taïti, et supportable que dans un recoin de l’Europe. Là, des maîtres ombrageux et jaloux de leur sécurité se sont occupés à le tenir dans ce que vous appelez l’abrutissement.

A . À Venise, peut-être ?

B . Pourquoi non ? Vous ne nierez pas, du moins, qu’il n’y a nulle part moins de lumières acquises, moins de morale artificielle, et moins de vices et de vertus chimériques.

A . Je ne m’attendais pas à l’éloge de ce gouvernement.

B . Aussi ne le fais-je pas. Je vous indique une espèce de dédommagement de la servitude, que tous les voyageurs ont senti et préconisé.

A . Pauvre dédommagement !

B . Peut-être. Les Grecs proscrivirent celui qui avait ajouté une corde à la lyre de Mercure.

A . Et cette défense est une satire sanglante de leurs premiers législateurs. C’est la première corde qu’il fallait couper.

B . Vous m’avez compris. Partout où il y a une lyre, il y a des cordes. Tant que les appétits naturels seront sophistiqués, comptez sur des femmes méchantes.

A . Comme la Reymer.

B . Sur des hommes atroces.

A . Comme Gardeil.

B . Et sur des infortunés à propos de rien.

A . Comme Tanié, mademoiselle de La Chaux, le chevalier Desroches et madame de La Carlière [8] .

Il est certain qu’on chercherait inutilement dans Taïti des exemples de la dépravation des deux premiers, et du malheur des trois derniers. Que ferons-nous donc ? reviendrons-nous à la nature ? nous soumettrons-nous aux lois ?

B . Nous parlerons contre les lois insensées jusqu’à ce qu’on les réforme ; et, en attendant, nous nous y soumettrons. Celui qui, de son autorité privée, enfreint une mauvaise loi, autorise tout autre à enfreindre les bonnes. Il y a moins d’inconvénients à être fou avec des fous, qu’à être sage tout seul. Disons-nous à nous-mêmes, crions incessamment qu’on a attaché la honte, le châtiment et l’ignominie à des actions innocentes en elles-mêmes ; mais ne les commettons pas, parce que la honte, le châtiment et l’ignominie sont les plus grands de tous les maux. Imitons le bon aumônier, moine en France, sauvage dans Taïti.

A . Prendre le froc du pays où l’on va, et garder celui du pays où l’on est.

B . Et surtout être honnête et sincère jusqu’au scrupule avec des êtres fragiles qui ne peuvent faire notre bonheur, sans renoncer aux avantages les plus précieux de nos sociétés [9] . Et ce brouillard épais, qu’est-il devenu ?

A . Il est tombé.

B . Et nous serons encore libres, cette après-dînée, de sortir ou de rester ?

A . Cela dépendra, je crois, un peu plus des femmes que de nous.

B . Toujours les femmes ! on ne saurait faire un pas sans les rencontrer à travers son chemin.

A . Si nous leur lisions l’entretien de l’aumônier et d’Orou ?

B . À votre avis, qu’en diraient-elles ?

A . Je n’en sais rien.

B . Et qu’en penseraient-elles ?

A . Peut-être le contraire de ce qu’elles en diraient.

  • ↑ La présence de ce vieillard et son attitude à l’arrivée des Européens sont signalées par Bougainville.
  • ↑ Colliers de verroterie ; perles fausses.
  • ↑ Bougainville prétend ne pas savoir pourquoi ni comment cet homme fut tué. La fuite dans la montagne de plusieurs de ses camarades à cette occasion est rapportée par le voyageur.
  • ↑ Cet isolement des femmes infectées ne fut pas maintenu bien sévèrement, et en peu d’années, grâce à la syphilis, aux liqueurs spiritueuses et aussi à cette influence pernicieuse dont la cause est encore inconnue, mais qui suit toujours l’arrivée des Européens, dans les îles océaniennes surtout, la population de Taïti, qui était d’environ 100,000 âmes aux visites de Bougainville et de Cook, se trouva réduite à la moitié, puis au tiers, puis à presque rien : 7 ou 8,000 habitants.
  • ↑ Queiros avait découvert Taïti en 1606 ; mais Queiros était Portugais.
  • ↑ Quoique tout ce qui suit n’ait aucune prétention à l’authenticité, on sera peut-être bien aise d’apprendre que l’aumônier de la Boudeuse s’appelait le P. Lavaisse et qu’il était Cordelier.
  • ↑ Mieux : Ixos , nom d’un oiseau cité dans la Bible.
  • ↑ L’histoire de Tanié, de la Reymer, de M lle  de La Chaux et de Gardeil se trouvera dans Ceci n’est pas un Conte , et celle du chevalier Desroches et de M me  de la Carlière dans l’écrit intitulé : Sur l’inconséquence du jugement public de nos actions particulières .
  • ↑ Cette conclusion montre, ce nous semble, que ceux qui ont accusé Diderot, à propos de cet écrit, d’avoir demandé le partage des biens et la communauté des femmes, ont poussé bien au delà des limites qu’il leur assignait lui-même ses idées réformatrices.

voyage bougainville diderot

  • XVIIIe siècle
  • Dialogue philosophique

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SUPPLÉMENT AU VOYAGE DE BOUGAINVILLE, Denis Diderot Fiche de lecture

  • 1. Une œuvre polyphonique
  • 2. Une utopie critique
  • 3. Bibliographie

La genèse et l' édition des œuvres de Diderot (1713-1784) sont souvent complexes et problématiques : comme le Paradoxe sur le comédien (conçu en 1769, publié en 1830), le Supplément au Voyage de Bougainville n'est à l' origine qu'un compte rendu de lecture destiné à La Correspondance littéraire de Grimm : une note sur le Voyage autour du monde (1771) que Bougainville rédigea à partir du Journal tenu lors de son voyage à Tahiti (6-15 avril 1768). Si dans un premier temps Grimm ne publie pas le texte de Diderot, une version remaniée du Supplément au Voyage de Bougainville paraît en feuilleton dans La Correspondance littéraire , en 1773 et 1774 ; mais la première édition en est posthume (1796), et il existe plusieurs versions manuscrites du texte, dont on publie désormais la plus longue. Inséparable de deux autres textes parus en 1798 dans un ordre concerté ( Ceci n'est pas un conte et Madame de la Carlière ), le Supplément au Voyage de Bougainville témoigne bien de la dimension de « création continuée » qui caractérise la pensée de Diderot. Elle va de pair avec le refus de tout dogmatisme et de toute réponse arrêtée dans la question centrale qui occupe le siècle des Lumières : celle de l'état de nature et de l'usage critique de cette notion.

Une œuvre polyphonique

Le Supplément au Voyage de Bougainville fait entendre plusieurs voix : les deux interlocuteurs, A et B, commentent, texte à l'appui, ce Voyage que B est en train de lire, et dont il prétend restituer l'intégralité, car les passages licencieux en auraient été supprimés. Cette fiction justifie le « supplément », terme défini par le Dictionnaire de Trévoux comme « ce qu'on ajoute à un auteur, pour remplir les lacunes qui se trouvaient dans ses ouvrages ». Suppléer consiste ici, pour Diderot, à commenter le Voyage de Bougainville sans laisser la parole à l'explorateur lui-même.

La version longue du texte comporte cinq parties, dont la première et la dernière, respectivement « Jugement du Voyage de Bougainville » et « Suite du dialogue entre A et B », encadrent d'autres discours rapportés : la prosopopée d'un vieux Tahitien (« Les Adieux du vieillard »), l'« Entretien de l'aumônier et d'Orou » (III) qui contient, en un nouvel enchâssement, l'histoire de Polly Baker et sa défense devant les juges rapportée au discours direct, enfin la suite de l'entretien de l'aumônier et d'Orou dans la section IV, non titrée. Pluralité des voix, mais aussi intertextualité assumée, voire exhibée par une activation du « principe dialogique » théorisé par Mikhaïl Bakhtine. Le Supplément fait aussi écho aux Dialogues de La Hontan avec un « sauvage de bon sens qui a voyagé » (1703), ou reprend l'histoire de Polly Baker à l' Histoire des deux Indes (1770), de l'abbé Raynal, à laquelle Diderot a contribué. Participent également de cette polyphonie le glissement d'un plan de l'énonciation à un autre, comme lorsque A s'adresse fictivement à Aotourou, le Tahitien que Bougainville a ramené en France et promené dans les salons parisiens : « O Aotourou, que tu seras content de revoir ton père, ta mère, tes frères, tes sœurs, tes compatriotes ! Que leur diras-tu de nous ? ». Mêlant lyrisme et ironie, Diderot met en scène un débat philosophique, dont les termes sont clairement résumés par A au terme du dialogue : « Reviendrons-nous à la nature ? Nous soumettrons-nous aux lois ? » B donne sa réponse, celle d'une adaptation à un état de fait – « Prendre le froc du pays où l'on va, et garder celui du pays où l'on est » – qui, si elle n'est pas sans évoquer la fin du Paradoxe sur le comédien et sa morale courtisane, n'est peut-être pas exactement celle de Diderot.

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  • Anouchka VASAK : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, maître de conférences à l'université de Poitiers

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Autres références

CULTURE - Nature et culture

  • Écrit par Françoise ARMENGAUD

RÉCIT DE VOYAGE

  • Écrit par Jean ROUDAUT

FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIII e s.

  • Écrit par Pierre FRANTZ
  • LES LETTRES PERSANES, Montesquieu  - Le regard éloigné
  • NATURE ÉTAT DE

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  • Profil d'œuvre : Supplément au voyage de Bougainville

Supplément au voyage de Bougainville Profil d'œuvre

Supplément au voyage de Bougainville

Denis Diderot

Supplément au voyage de Bougainville de Diderot est un dialogue opposant deux façons de penser, de vivre. Les thèmes principaux sont le colonialisme et la vie sauvage. L'auteur compare l'homme civilisé orgueilleux et l'homme naturel libre. C'est quelques années après sa visite à Catherine II de Russie que Diderot écrit cet ouvrage. Il ne croit plus au despote éclairé. Le Supplément au voyage de Bougainville se veut une réponse fictive au récit de voyage de l'explorateur Bougainville qui avait découvert l'Océanie. Dans ce texte, Diderot donne la parole aux victimes de la colonisation. Ce sont ici les tahitiens. L'auteur inverse les regards pour dénoncer l'injustice. Il peut ainsi critiquer les sociétés occidentales. Ce long dialogue est perçu comme un réquisitoire critiquant Bougainville et, plus largement, l'Occident. Il fait aussi l'éloge de la vie sauvage, Diderot utilisant ainsi le mythe du bon sauvage inventé au siècle des Lumières.

Un réquisitoire

Le discours du tahitien, héros de l'ouvrage, est divisé en deux parties. La première partie est un réquisitoire critiquant Bougainville et la société occidentale. Diderot énumère les fautes de Bougainville et y oppose les mœurs des tahitiens. L'idée est développée que le mode de vie tahitien est meilleur que celui des européens. Les civilisés ne sont pas ceux que l'on croit. Les Occidentaux paraissent absurdes. La deuxième partie du texte sert de conclusion au discours du tahitien. Il résume tout ce qu'il a dit avant. Il demande à Bougainville et ses hommes de quitter Tahiti. Les moeurs des tahitiens ne sont pas moins bonnes que celles des européens. Elles sont différentes. Les Occidentaux apparaissent ici comme des sauvages.

Une critique de la société occidentale

La violence.

Chez les tahitiens, les femmes sont libres. Elles peuvent être avec la personne de leur choix. Bougainville en a profité, mais ensuite il demande aux femmes tahitiennes de respecter "sa" morale, et de n'être qu'avec un homme, comme en Europe. C'est alors que commence la violence, motivée par la jalousie. Sous couvert de morale, les Occidentaux ont apporté la haine.

Tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras, tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr, vous vous êtes égorgés pour elles; et elles nous sont revenues teintes de votre sang.

La propriété et l'esclavage

La notion de propriété a été introduite par les Occidentaux. Ce concept créé alors le concept même de vol. On ne peut voler que ce qui appartient à un autre. Bougainville applique sa vision des choses aux tahitiens. Il punit sévèrement le vol, alors que les tahitiens ne voient pas le mal à prendre quelque chose qui n'appartient à personne. Il fait aussi des tahitiens des esclaves. Il assujettit une population et s'approprie ses terres. Il veut dominer. Il parle de propriété mais finalement n'imagine pas une seconde qu'il prend la terre d'hommes qui vivaient là avant lui. Tout tourne autour des occidentaux, de leurs moeurs, de leurs idées.

Le "sauvage"

Diderot souligne plusieurs fois l'ethnocentrisme occidental. On comprend bien mieux pourquoi les tahitiens rejettent les coutumes européennes, puisqu'elles les oppriment. Ce qui paraît civilisé ne l'est plus. Les Occidentaux deviennent des sauvages. En effet, ils qualifient les tahitiens de sauvages mais ce sont eux qui sont barbares en instaurant l'esclavage. Ceux qui détiennent le savoir semblent être les tahitiens, qui sont plus sages, moins violents. C'est Diderot qui s'exprime à travers le narrateur tahitien, qui est un vieil homme. Son âge souligne sa sagesse.

L'éloge de la société tahïtienne

Diderot fait l'éloge de la société tahitienne, qui devient une société idéale. Ce peuple possède un mode de vie simple. Les choses essentielles pour les tahitiens sont le bonheur, l'innocence et la tranquillité. C'est la nature qui prime ici. La nature est synonyme de bien, de bonté. C'est le mythe du "bon sauvage". Les philosophes des Lumières pensent qu'une société qui reviendrait à la nature serait plus saine, plus juste. L'équilibre et la pureté de la culture tahitienne tiennent à son innocence et sa liberté. Elle n'est pas victime des carcans occidentaux.

Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu'il n'ait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t'avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse nous nos mœurs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance, contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons.

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  • Anthologies

Supplément au voyage de Bougainville dans le texte

Malheureux taïtiens.

Au départ de Bougainville, lorsque les habitants accouraient en foule sur le rivage, s’attachaient à ses vêtements, serraient ses camarades entre leurs bras, et pleuraient, ce vieillard s’avança d’un air sévère, et dit   :

«   Pleurez, malheureux Taïtiens   ! pleurez   ; mais que ce soit de l’arrivée, et non du départ de ces hommes ambitieux et méchants   : un jour, vous les connaîtrez mieux. Un jour, ils reviendront, le morceau de bois que vous voyez attaché à la ceinture de celui-ci, dans une main, et le fer qui pend au côté de celui-là, dans l’autre, vous enchaîner, vous égorger, ou vous assujettir à leurs extravagances et à leurs vices   ; un jour vous servirez sous eux, aussi corrompus, aussi vils, aussi malheureux qu’eux. Mais je me console   ; je touche à la fin de ma carrière   ; et la calamité que je vous annonce, je ne la verrai point. Taïtiens   ! mes amis   ! vous auriez un moyen d’échapper à un funeste avenir   ; mais j’aimerais mieux mourir que de vous en donner le conseil. Qu’ils s’éloignent, et qu’ils vivent.   »

Puis s’adressant à Bougainville, il ajouta   : «   Et toi, chef des brigands qui t’obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive   : nous sommes innocents, nous sommes heureux   ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature   ; et tu as tenté d’effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous   ; et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes   ; tu as partagé ce privilège avec nous   ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras   ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr   ; vous vous êtes égorgés pour elles   ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres   ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n’es ni un dieu, ni un démon   : qui es-tu donc, pour faire des esclaves   ?

Orou   ! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l’as dit à moi, ce qu’ils ont écrit sur cette lame de métal   : Ce pays est à nous . Ce pays est à toi   ! et pourquoi   ? parce que tu y as mis le pied   ? Si un Taïtien débarquait un jour sur vos côtes, et qu’il gravât sur une de vos pierres ou sur l’écorce d’un de vos arbres   : Ce pays appartient aux habitants de Taïti , qu’en penserais-tu   ? Tu es le plus fort   ! Et qu’est-ce que cela fait   ? Lorsqu’on t’a enlevé une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t’es récrié, tu t’es vengé   ; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée   ! Tu n’es pas esclave   : tu souffrirais la mort plutôt que de l’être, et tu veux nous asservir   ! Tu crois donc que le Taïtien ne sait pas défendre sa liberté et mourir   ? Celui dont tu veux t’emparer comme de la brute, le Taïtien est ton frère. Vous êtes deux enfants de la nature   ; quel droit as-tu sur lui qu’il n’ait pas sur toi   ? Tu es venu   ; nous sommes-nous jetés sur ta personne   ? avons-nous pillé ton vaisseau   ? t’avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis   ? t’avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux   ? Nous avons respecté notre image en toi.

Laisse-nous nos mœurs, elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes. Nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons. Sommes-nous dignes de mépris parce que nous n’avons pas su nous faire des besoins superflus   ? Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger   ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir. Tu es entré dans nos cabanes, qu’y manque-t-il, à ton avis   ? Poursuis jusqu’où tu voudras ce que tu appelles commodités de la vie   ; mais permets à des êtres sensés de s’arrêter, lorsqu’ils n’auraient à obtenir, de la continuité de leurs pénibles efforts, que des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir l’étroite limite du besoin, quand finirons-nous de travailler   ? Quand jouirons-nous   ? Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières, la moindre qu’il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable au repos. Va dans ta contrée t’agiter, te tourmenter tant que tu voudras   ; laisse-nous reposer   : ne nous entête ni de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques.

Regarde ces hommes   ; vois comme ils sont droits, sains et robustes. Regarde ces femmes   ; vois comme elles sont droites, saines, fraîches et belles. Prends cet arc, c’est le mien   ; appelle à ton aide un, deux, trois, quatre de tes camarades, et tâchez de le tendre. Je le tends moi seul   ; je laboure la terre   ; je grimpe la montagne   ; je perce la forêt   ; je parcours une lieue de la plaine en moins d’une heure. Tes jeunes compagnons ont eu peine à me suivre, et j’ai quatre-vingt-dix ans passés. Malheur à cette île   ! malheur aux Taïtiens présents, et à tous les Taïtiens à venir, du jour où tu nous as visités   ! Nous ne connaissions qu’une maladie, celle à laquelle l’homme, l’animal et la plante ont été condamnés, la vieillesse, et tu nous en as apporté une autre   ; tu as infecté notre sang. Il nous faudra peut-être exterminer de nos propres mains nos filles, nos femmes, nos enfants   ; ceux qui ont approché tes femmes   ; celles qui ont approché tes hommes. Nos champs seront trempés du sang impur qui a passé de tes veines dans les nôtres   ; ou nos enfants, condamnés à nourrir et à perpétuer le mal que tu as donné aux pères et aux mères et qu’ils transmettront à jamais à leurs descendants. Malheureux   ! tu seras coupable, ou des ravages qui suivront les funestes caresses des tiens, ou des meurtres que nous commettrons pour en arrêter le poison. Tu parles de crimes   ! as-tu l’idée d’un plus grand crime que le tien   ? Quel est chez toi le châtiment de celui qui tue son voisin   ? la mort par le fer   : quel est chez toi le châtiment du lâche qui l’empoisonne   ? la mort par le feu   : compare ton forfait à ce dernier   ; et dis-nous, empoisonneur de nations, le supplice que tu mérites   ? Il n’y a qu’un moment, la jeune Taïtienne s’abandonnait aux transports, aux embrassements du jeune Taïtien   ; attendait avec impatience que sa mère (autorisée par l’âge nubile) relevât son voile, et mît sa gorge à nu. Elle était fière d’exciter les désirs, et d’arrêter les regards amoureux de l’inconnu, de ses parents, de son frère   ; elle acceptait sans frayeur et sans honte, en notre présence, au milieu d’un cercle d’innocents Taïtiens, au son des flûtes, entre les danses, les caresses de celui que son jeune cœur et la voix secrète de ses sens lui désignaient. L’idée de crime et le péril de la maladie sont entrés avec toi parmi nous. Nos jouissances, autrefois si douces, sont accompagnées de remords et d’effroi. Cet homme noir, qui est près de toi, qui m’écoute, a parlé à nos garçons   ; je ne sais ce qu’il a dit à nos filles   ; mais nos garçons hésitent   ; mais nos filles rougissent. Enfonce-toi, si tu veux, dans la forêt obscure avec la compagne perverse de tes plaisirs   ; mais accorde aux bons et simples Taïtiens de se reproduire sans honte, à la face du ciel et au grand jour. Quel sentiment plus honnête et plus grand pourrais-tu mettre à la place de celui que nous leur avons inspiré, et qui les anime   ? Ils pensent que le moment d’enrichir la nation et la famille d’un nouveau citoyen est venu, et ils s’en glorifient. Ils mangent pour vivre et pour croître   : ils croissent pour multiplier, et ils n’y trouvent ni vice, ni honte.   »

  • 18 e siècle
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  • Conte philosophique
  • Denis Diderot
  • Louis-Antoine de Bougainville
  • Supplément au voyage de Bougainville
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Forfaits de Bougainville

[…]   Écoute la suite de tes forfaits. À peine t’es-tu montré parmi eux, qu’ils sont devenus voleurs. À peine es-tu descendu dans notre terre, qu’elle a fumé de sang. Ce Taïtien qui courut à ta rencontre, qui t’accueillit, qui te reçut en criant   : Taïo   ! ami, ami   ; vous l’avez tué. Et pourquoi l’avez-vous tué   ? parce qu’il avait été séduit par l’éclat de tes petits œufs de serpents. Il te donnait ses fruits   ; il t’offrait sa femme et sa fille   ; il te cédait sa cabane   : et tu l’as tué pour une poignée de ces grains, qu’il avait pris sans te le demander. Et ce peuple   ? Au bruit de ton arme meurtrière, la terreur s’est emparée de lui   ; et il s’est enfui dans la montagne. Mais crois qu’il n’aurait pas tardé d’en descendre   ; crois qu’en un instant, sans moi, vous périssiez tous. Eh   ! pourquoi les ai-je apaisés   ? pourquoi les ai-je contenus   ? pourquoi les contiens-je encore dans ce moment   ? Je l’ignore   ; car tu ne mérites aucun sentiment de pitié   ; car tu as une âme féroce qui ne l’éprouva jamais.

Tu t’es promené, toi et les tiens, dans notre île   ; tu as été respecté   ; tu as joui de tout   ; tu n’as trouvé sur ton chemin ni barrière, ni refus   : on t’invitait   ; tu t’asseyais   ; on étalait devant toi l’abondance du pays. As-tu voulu des jeunes filles   ? excepté celles qui n’ont pas encore le privilège de montrer leur visage et leur gorge, les mères t’ont présenté les autres toutes nues   ; te voilà possesseur de la tendre victime du devoir hospitalier   ; on a jonché, pour elle et pour toi, la terre de feuilles et de fleurs   ; les musiciens ont accordé leurs instruments   ; rien n’a troublé la douceur, ni gêné la liberté de tes caresses ni des siennes. On a chanté l’hymne, l’hymne qui t’exhortait à être homme, qui exhortait notre enfant à être femme, et femme complaisante et voluptueuse. On a dansé autour de votre couche ; et c’est au sortir des bras de cette femme, après avoir éprouvé sur son sein la plus douce ivresse, que tu as tué son frère, son ami, son père, peut-être.

Tu as fait pis encore   ; regarde de ce côté   ; vois cette enceinte hérissée de flèches   ; ces armes qui n’avaient menacé que nos ennemis, vois-les tournées contre nos propres enfants   : vois les malheureuses compagnes de nos plaisirs   ; vois leur tristesse   ; vois la douleur de leurs pères   ; vois le désespoir de leurs mères   : c’est là qu’elles sont condamnées à périr par nos mains, ou par le mal que tu leur as donné. Éloigne-toi, à moins que tes yeux cruels ne se plaisent à des spectacles de mort   : éloigne-toi   ; va, et puissent les mers coupables qui t’ont épargné dans ton voyage, s’absoudre, et nous venger en t’engloutissant avant ton retour   ! Et vous, Taïtiens, rentrez dans vos cabanes, rentrez tous   ; et que ces indignes étrangers n’entendent à leur départ que le flot qui mugit, et ne voient que l’écume dont sa fureur blanchit une rive déserte   !

  • Droits humains
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  • Le document sur Gallica

L’aumônier et Orou

Dans la division que les Taïtiens se firent de l’équipage de Bougainville, l’aumônier devint le partage d’Orou. L’aumônier et le Taïtien étaient à peu près du même âge, trente-cinq à trente-six ans. Orou n’avait alors que sa femme et trois filles appelées Asto, Palli et Thia. Elles le déshabillèrent, lui lavèrent le visage, les mains et les pieds, et lui servirent un repas sain et frugal. Lorsqu’il fut sur le point de se coucher, Orou, qui s’était absenté avec sa famille, reparut, lui présenta sa femme et ses trois filles nues, et lui dit   : –   Tu as soupé, tu es jeune, tu te portes bien   ; si tu dors seul, tu dormiras mal   ; l’homme a besoin la nuit d’une compagne à son côté. Voilà ma femme, voilà mes filles   : choisis celle qui te convient   ; mais si tu veux m’obliger, tu donneras la préférence à la plus jeune de mes filles qui n’a point encore eu d’enfants. La mère ajouta   : –   Hélas   ! je n’ai point à m’en plaindre   ; la pauvre Thia   ! ce n’est pas sa faute.

L’aumônier répondit que sa religion, son état, les bonnes mœurs et l’honnêteté ne lui permettaient pas d’accepter ces offres. Orou répliqua   : –   Je ne sais ce que c’est que la chose que tu appelles religion   ; mais je ne puis qu’en penser mal, puisqu’elle t’empêche de goûter un plaisir innocent, auquel nature, la souveraine maîtresse, nous invite tous   ; de donner l’existence à un de tes semblables   ; de rendre un service que le père, la mère et les enfants te demandent   ; de t’acquitter avec un hôte qui t’a fait un bon accueil, et d’enrichir une nation, en l’accroissant d’un sujet de plus. Je ne sais ce que c’est que la chose que tu appelles état   ; mais ton premier devoir est d’être homme et d’être reconnaissant. Je ne te propose point de porter dans ton pays les mœurs d’Orou   ; mais Orou, ton hôte et ton ami, te supplie de te prêter aux mœurs de Taïti. Les mœurs de Taïti sont-elles meilleures ou plus mauvaises que les vôtres   ? c’est une question facile à décider. La terre où tu es né a-t-elle plus d’hommes qu’elle n’en peut nourrir   ? en ce cas tes mœurs ne sont ni pires, ni meilleures que les nôtres. En peut-elle nourrir plus qu’elle n’en a   ? nos mœurs sont meilleures que les tiennes. Quant à l’honnêteté que tu m’objectes, je te comprends   ; j’avoue que j’ai tort   ; et je t’en demande pardon. Je n’exige pas que tu nuises à ta santé   ; si tu es fatigué, il faut que tu te reposes   ; mais j’espère que tu ne continueras pas à nous contrister. Vois le souci que tu as répandu sur tous ces visages   : elles craignent que tu n’aies remarqué en elles quelques défauts qui leur attirent ton dédain. Mais quand cela serait, le plaisir d’honorer une de mes filles, entre ses compagnes et ses sœurs, et de faire une bonne action, ne te suffirait-il pas   ? Sois généreux   ! L’aumônier.   – Ce n’est pas cela   : elles sont toutes quatre également belles   ; mais ma religion   ! mais mon état   ! Orou. –   Elles m’appartiennent, et je te les offre   : elles sont à elles, et elles se donnent à toi. Quelle que soit la pureté de conscience que la chose religion et la chose état te prescrivent, tu peux les accepter sans scrupules. Je n’abuse point de mon autorité   ; et sois sûr que je connais et que je respecte les droits des personnes.

Ici, le véridique aumônier convient que jamais la Providence ne l’avait exposé à une aussi pressante tentation. Il était jeune   ; il s’agitait, il se tourmentait   ; il détournait ses regards des aimables suppliantes   ; il les ramenait sur elles   ; il levait ses mains et ses yeux au ciel. Thia, la plus jeune, embrassait ses genoux et lui disait   :   – Étranger, n’afflige pas mon père, n’afflige pas ma mère, ne m’afflige pas   ! Honore-moi dans la cabane et parmi les miens   ; élève-moi au rang de mes sœurs qui se moquent de moi. Asto l’aînée a déjà trois enfants   ; Palli, la seconde, en a deux, et Thia n’en a point   ! Étranger, honnête étranger, ne me rebute pas   ! rends-moi mère   ; fais-moi un enfant que je puisse un jour promener par la main, à côté de moi, dans Taïti   ; qu’on voie dans neuf mois attaché à mon sein   ; dont je sois fière, et qui fasse une partie de ma dot, lorsque je passerai de la cabane de mon père dans une autre. Je serai peut-être plus chanceuse avec toi qu’avec nos jeunes Taïtiens. Si tu m’accordes cette faveur, je ne t’oublierai plus   ; je te bénirai toute ma vie   ; j’écrirai ton nom sur mon bras et sur celui de ton fils   ; nous le prononcerons sans cesse avec joie   ; et, lorsque tu quitteras ce rivage, mes souhaits t’accompagneront sur les mers jusqu’à ce que tu sois arrivé dans ton pays.

Le naïf aumônier dit qu’elle lui serrait les mains, qu’elle attachait sur ses yeux des regards si expressifs et si touchants   ; qu’elle pleurait   ; que son père, sa mère et ses sœurs s’éloignèrent   ; qu’il resta seul avec elle, et qu’en disant   : Mais ma religion, mais mon état, il se trouva le lendemain couché à côté de cette jeune fille, qui l’accablait de caresses, et qui invitait son père, sa mère et ses sœurs, lorsqu’ils s’approchèrent de leur lit le matin, à joindre leur reconnaissance à la sienne.

  • Vie privée et famille
  • Colonisation
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Diderot, « Supplément au voyage de Bougainville » (1772)

Denis Diderot par Van Loo (1767 )

Structure du Supplément …

Chapitre i (p. 141-147 éditions gf).

  • Petite introduction : variation sur le temps qu’il fait (1/2 page)
  • Jugement sur Bougainville : les raisons de son expédition (1/2 page)
  • Réflexion sur les observations qu’il rapporte
  • Réflexion sur les réactions d’un Tahitien que Bougainville ramena en France : celui-ci s’y est ennuyé, et juge fous les Européens : transition (è cf. Montaigne : Les Cannibales)
  • Présentation du Supplément : on annonce la lecture de ce livre, et en particulier les adieux du vieillard.

Chapitre II (p. 147-153)

  • Présentation du vieillard, et son discours (environ 5 pages =>Texte 1)
  • Accueil des Tahitiens aux Européens (incident de la jeune femme déguisée)
  • Annonce du dialogue entre Orou et l’aumônier.

Chapitre III (p. 153-167)

  • L’aumônier refuse l’offre d’Orou, puis cède malgré lui ;
  • p. 155-157 : l’aumônier tente d’expliquer ce qu’est Dieu (dialogue)
  • p. 157-159 : discours d’Orou, les objections de la raison
  • p. 159-160 : l’aumônier répond aux objections et aux questions d’Orou (dialogue)
  • p. 161-164 : Orou à son tour explique ses lois : discours + dialogue.
  • Interruption de A ; après une explication de B, intermède (B précise les lois de Tahiti)
  • B raconte l’histoire de Polly Baker, par antithèse avec le dialogue précédent entre Orou et l’aumônier (è texte 3) ; réflexions de B et de A. (p. 165-167)

Chapitre IV (p. 167-177)

Nouveau dialogue entre Orou et l’aumônier :

  • Orou voit ses valeurs contestées par celles de l’aumônier, et surtout vice-versa (p. 175 : deux systèmes de valeurs s’opposent) ;
  • Condamnation de la religion et de la vie monacale par Orou (cf. Diderot, La Religieuse).
  • Fin du chapitre : l’aumônier, agité de remords, cède comiquement (cf. la veine libertine du 18ème siècle, de Laclos à Crébillon et aux Bijoux indiscrets… sans parler de Sade).

Chapitre V (p. 177-186)

Dialogue entre A et B.

  • B raconte les conclusions de l’aumônier : conséquences de ces coutumes et de ces valeurs morales ;
  • La seule loi raisonnable est la loi de nature ;
  • Ce qu’il y a de naturel et de frelaté dans l’amour à l’Européenne ;
  • Avantages et inconvénients de la vie civilisée et de la vie « sauvage » : faut-il choisir ? faut-il une révolution ? L’attitude du sage (è texte 4)

On passe donc d’une critique du colonialisme, injustifié − illusion de croire en une supériorité européenne − à une critique de la religion, de la société, des distorsions entre loi naturelle, loi sociale, loi religieuse, qui mènent à des absurdités et à des déchirements moraux, et enfin à une critique des valeurs morales non fondées sur la raison et la nature, donc injustifiables.

Mais cette condamnation ne doit pas conduire à une révolution violente, qui ne ferait que changer une dictature en une autre.

Le livre lui-même, par la critique qu’il apporte, est action, la seule valable.

Chapitre I, p. 141-142 jusqu’à « langue des marins »

Cette 1 ère partie est un jugement littéraire : pour l’essentiel, un article que Diderot avait écrit à la demande de Grimm sur le Voyage de Bougainville , et qui n’a pas été publié.

Deux parties :

  • jusqu’à « toujours »
  • jusqu’à « la langue des marins »

Cf. Mme de la Carlière , dialogue où deux interlocuteurs parlaient du temps dans les mêmes termes, qui était une réflexion sur la liberté sexuelle, dans un décor identique.

Cette discussion physique et météorologique rappelle Fontenelle (« Irons-nous sur la lune ? », Entretien sur la pluralité des mondes)

Le dialogue est placé sous le signe de la déception (« ne nous a pas tenu parole », l. 3), liée au brouillard qui gêne la vue : paysage symbolique. Le dialogue est placé sous le signe de la lucidité.

La réflexion prolonge celle de Montaigne : le Tahitien rappelle le Cannibale des Essais . Réflexion sur la diversité des mœurs. Les mœurs françaises paraissent plus étranges que les mœurs   étrangères.

« traverse l’éponge » (l. 10) : air saturé d’eau que le brouillard peut ou non traverser.

Que représentent les interlocuteurs ? A est-il l’opinion commune ? A diffère de B par son caractère : A est impatient et pessimiste, B patient et optimiste. Diderot oppose des gens d’humeur différente, mais plus par leur expressivité que par leur intériorité. La pensée de Diderot se cherche en s’exprimant ; le paradoxe est un instrument de la recherche intellectuelle.

A : « bizarrerie apparente » (l. 29), c’est-à-dire seulement apparente ; B répond « comme vous et moi » (l. 27) : B se moque de sa propre activité. Le livre est sous le signe de la curiosité, de la réflexion ; planche // parquet (l. 27-28) : l’activité du voyageur est semblable à celle du philosophe ; « lesté, d’un bord… » (l. 35-37) : à travers Bougainville, on nous présente une image du philosophe, contraire du philosophe misanthrope de Rousseau. L’aventure de l’esprit vaut celle de la mer.

  Lecture non dogmatique de ce livre : la civilisation est à la fois la pire et la meilleure des choses… et de même la vie primitive.

La philosophie = réflexion critique sur les activités humaines. Nihil humanum a me alienum puto, disait Térence. Lire l’article « Philosophe » de l’Encyclopédie ; Diderot n’instruit pas, il inquiète et pose les problèmes. Ironie de Diderot sur « le lest du vrai Français » : les maths et un voyage autour du Monde !

« A : Que pensez-vous de son Voyage ? » (l. 40)

« Notre vieux domicile » : relativité.

Double avantage : pour les navigateurs (cartes et sûreté dans les Océans), et pour les curieux et les philosophes. Il ne développe que le premier.

« Les lumières nécessaires » : siècle des Lumières, connaissance et ouverture d’esprit. Ne peut voir que celui qui est préparé à voir. Repris par « philosophie ». Il faut aussi avoir le courage de dire des choses qui seront mal acceptées. Vérité = sincérité ; il faut à la fois de la promptitude et son contraire, la patience.

« Désir de voir, de s’éclairer / et d’instruire » (et non « de s’instruire », Pléiade).

« Style sans apprêt » (l. 55-56) : celui qu’il veut donner au Supplément .

Chapitre I, p. 145-147 : « avez-vous vu le Tahitien »… « vous le saurez »

  Le lecteur, par la 1 ère phrase, s’attend au « procédé de l’œil neuf » : Lettres persanes , L’Ingénu … « transporté » (l. 2) avec un complément de personne = le plus grand dépaysement. « soit que… soit que… » = deux fois l’idée d’erreur, imposée volontairement (« on lui en eût imposé ») ou naturelle. Aotourou n’a quitté Tahiti que parce qu’on l’a trompé ou qu’il s’est trompé. Idée selon laquelle chacun se trouve bien chez soi (cf. l. 18-22).

« L’usage commun des femmes » : qui n’a jamais voyagé n’imagine pas des mœurs autres que les siennes. Mythe d’un communisme primitif, déjà présent chez Platon. En réalité, plus les civilisations sont primitives, plus les mœurs sont complexes et contraignantes (cf. Levi-Strauss et l’ethnologie moderne).

« s’ennuyait » : sens très fort = profonde mélancolie.

« L’alphabet tahitien… » (l. 14) : préoccupation du siècle : l’origine des langues. Ce sont les tous premiers balbutiements de la linguistique (cf. Genette). Rousseau écrit un Essai sur l’origine des langues.

Diderot a raison sur un point : le système phonétique d’une langue est une structure, un système clos ; il est donc très difficile de prononcer des phonèmes qui n’existent pas dans sa propre langue ; mais il confond graphèmes et phonèmes !

Diderot, l. 18-25, indique quelle lecture on fait des récits de voyage : par goût de l’exotisme, ou pour se conforter dans la bonne opinion que l’on a de son pays. Au moment des Grandes découvertes, on ne lisait pas de tels récits.

Ici (l. 26-28), A s’amuse (pour une fois, il est le plus intelligent). Assonance et allitération « quoi, croyez, croisse ». Presque une paronomase !

Réponse de B : Diderot ne veut rien démontrer, son opinion n’est pas faite. Ce qui l’intéresse, c’est la quête. Voir le Neveu de Rameau. Malgré les coq-à-l’âne, un seul problème : l’œil neuf.

« Concevoir » (l. 37) : parce que son langage ne s’y prête pas. Lien étroit de la pensée et du langage.

Lignes 45 et suiv. : 3 idées fausses.

  • simplicité des sauvages ~ complexité des sociétés modernes. Or l’on sait l’extrême complexité des liens sociaux, fondée sur des millénaires de culture, par exemple des Aborigènes ;
  • comparaison entre l’histoire des sociétés et l’histoire biologique d’un individu , datant du 16ème siècle, et très à la mode. Grandeur et décadence (cf. Montesquieu)… Or une société ne meurt pas de vieillesse, mais par élimination ou accident (invasions…)… Diderot mélange une comparaison mécanique (or aujourd’hui on sait que les machines complexes marchent mieux) et une comparaison biologique : deux idées débattues par Rousseau et Diderot lors de l’emprisonnement de celui-ci à Vincennes. Rousseau en fait un usage philosophique (Discours sur l’origine de l’inégalité) ; Diderot les essaie, en fait un usage poétique et moral.
  • À propos de la liberté et de l’aliénation : Pour Diderot, comme pour Rousseau, la liberté est un sentiment inné (cf. Discours sur l’origine de l’inégalité ) ; or c’est discutable. La liberté est une conquête humaine ; elle est difficile, au point que beaucoup ne souhaitent pas être libres. Sentiment : un instinct dont on prend conscience.

Mélange d’idéologie et de conquêtes scientifiques ; le transformisme est dans l’air, avec des aspects dangereux.

Ce qui est positif dans l’œuvre de Diderot, c’est la critique.

« On se rend ridicule, mais on n’est ni ignorant, ni sot, encore moins méchant pour ne voir jamais que la pointe de son clocher ». Diderot ne se fait aucune illusion sur l’idylle de la vie sauvage : prosopopée de l’Indienne de l’Orénoque.

Aucune pensée n’est chez Diderot privée de son antithèse = aspect ludique. Il essaie toutes les idées (cf. le Neveu de Rameau), jeu qui mène à une critique de la réalité.

  Ici, les rapports sociaux entre les Parisiens du 18ème siècle sont des « entraves » (l. 51) ; mais on arrive à vivre … Il en fait voir les défauts et les qualités (cf. p. 186).

Retour de la métaphore du brouillard : Diderot veut remuer assez d’idées pour que le brouillard intellectuel dans lequel nous vivons se dissipe.

A a-t-il tort ? il ne se laisse pas prendre aux fables : il est le philosophe, l’esprit le plus fort ; les rôles sont interchangeables. Ce qui différencie A et B, ce sont les traits d’humeur. A est le souffre douleur de B (humour : « j’ai toujours tort avec vous ! » (l. 66-67).

De « tenez, tenez » à « vous le saurez » (l. 69-75) : ménage une transition avec la suite.

Mise en abyme : le Supplément est pour nous l’œuvre complète, or il est dans l’œuvre (« là, sur cette table »). Jeu pictural baroque (les Ménines de Vélasquez), puis théâtral ( l’Illusion comique , les Acteurs de bonne foi de Marivaux), enfin littéraire, qui détruit la réalité en même temps qu’on la crée. Diderot s’amuse : la sincérité de Bougainville… prouvée par un Supplément apocryphe ! (l. 57).

« Vous le saurez » souligne la gratuité de l’échange d’idées : le discours du vieillard est présenté comme faux, invraisemblable. (repris plus tard, p. 151 : « abrupt et sauvage », définition de la poésie pour Diderot)

Conclusion : optimisme de Diderot. Toute société est mauvaise, mais toutes les sociétés sont bonnes d’un certain point de vue. Elles sont vivables. Jeu des idées. Le Supplément se présente comme une méditation après une lecture (titre excellent : quand un livre a du succès, des quantités de suppléments). Diderot surpasse Rousseau et sa « Prosopopée de Fabricius ».

Rêverie très libre après la lecture. Distanciation à la Brecht : pour critiquer quelque chose, il faut être dehors et dedans, acteur et témoin.

Déchirement de s’arracher à son pays : fiction littéraire pour cela, pour libérer l’esprit. Cf. l’Ingénu de Voltaire !

Au 18 ème siècle, on déteste les livres ennuyeux.

Discours du vieillard tahitien (chapitre II p. 148-151)

Les européens vus par le vieillard :.

« chef des brigands » ; opposition des personnes : « nous » ~ « tu » ; fureur / féroce.

  • vocabulaire de la violence :cf. ci-dessus, + « haïr, égorger, sang »…
  • mettre des hommes en esclavage (l. 15-16) ; « t’emparer comme de la brute »
  • propriété du sol ~ vol de toute une contrée
  • « prêché », l. 6-7 ; « inutiles lumières »
  • Le problème du travail.

Autoportrait du Sauvage : opposition d’un système de valeurs à un autre.

  • « tout est à tous », y compris filles et femmes. Pas d’agressivité : ce sont les Européens qui « enseignent la violence ».
  • « Ton frère », « deux enfants de la Nature »
  • Réciprocité, l. 18-22, 23-26, 27-30.
  • cf. le dernier § : « êtres sensés » l. 46
  • Hospitalité : « tu as partagé », « tu es entré dans nos cabanes »…

Une image de l’Etat de Nature.

Il s’agit ici d’une fiction : discours à l’occidentale (ce qui sera souligné par A et B) ; aucun détail concret : ce n’est pas la civilisation tahitienne qui intéresse Diderot, mais un IDEAL, qui appartient au mythe du Bon Sauvage.

Propriété collective ou absence de propriété : cf. Rousseau ; il s’agit d’un état antérieur à la propriété. Cependant, on ne trouve pas ici les mêmes conséquences que dans le Discours sur l’inégalité de Rousseau ; chez celui-ci, l’homme d’avant la société vivait isolé ; pour Diderot, il y a une forme de société collectiviste primitive.

Le problème du travail : satisfaction des besoins vitaux ~ luxe, besoins superflus (idée importante de « création des besoins »). L’opposition entre repos et travail est une opposition de valeur :

  • repos = être = jouir
  • travail = s’agiter, se tourmenter pour posséder des biens.

On est ici très proche de Montaigne et de Rousseau, mais très loin de Voltaire, qui préfigure la valeur bourgeoise accordée au travail, à l’industrie.

Dialogue de l’Aumônier et d’Orou (ch. III, p. 157-160), de « ces préceptes singuliers » à « … ne réclame pas ses droits » (texte 3)

Plan du premier discours d’orou :.

  • Contraires à la nature : un être humain ne saurait appartenir à un autre
  • contraires à la “loi générale des êtres” : dans un univers soumis au changement, aucune loi ne peut imposer une constance éternelle.
  • des hommes ne peuvent décider du bien et du mal :
  • si c’était le cas, ces notions seraient arbitraires et changeantes (allusions aux lois et interdits religieux)
  • … Et que faire en cas de désaccord entre ces différents législateurs ?

==> seule la nature peut décider du bien et du mal, en fonction de critères absolus.

Le deuxième discours dresse un réquisitoire contre la société

Orou devine ce que Diderot dénonce : les nécessaires dysfonctionnements liés à des lois contraires à la nature.

Dans ce passage, étudier :

  • les marques de jugement
  • les procédés oratoires (symétries, antithèses, accumulations, rythmes…)
  • l’usage des temps verbaux

Apologue de Polly Baker

Qui parle ? Retrouvez dans cette histoire les marques d’énonciation (marques personnelles, marques de jugement, modalisateurs, déictiques…) ; indiquez les différents niveaux d’énonciation :

  • le narrateur de l’histoire
  • le discours de Polly

Le discours de Polly : indiquez sa composition. Montrez, en relevant plusieurs indices, qu’il s’agit d’un plaidoyer. Pour quelle cause plaide Polly ?

En quoi l’histoire de Polly Baker constitue-t-elle un apologue ? Quelle en serait la moralité ?

Quel rôle occupe cet apologue dans l’argumentation de Diderot à propos des lois naturelles ?

Excipit : « ainsi vous préféreriez… => fin du chapitre V.

La 1 ère phrase fait la liaison avec ce qui précède. « préféreriez » : interrogation implicite. A doute des idées de B (conditionnel). Il ne s’agit pas ici d’un choix, mais d’une préférence, comme si le choix était indifférent, affaire de goût. Conclusion du dialogue : vocabulaire du choix moral (préférer, prononcer, conclure, incliner, trouver, indiquer => unité de la page.

Les tabous les plus forts de notre société sont ceux concernant la sexualité : Diderot s’y attaque ; cf. la 3 ème partie du Rêve de d’Alembert .

L’état de nature brute : cf. Discours sur l’origine de l’inégalité de Rousseau (1755). Cette question marque l’étonnement. Cf. au début « est-ce que vous donneriez dans la fable de Tahiti ? » p. 146. « Ma foi » précède et atténue l’énonciation de vérités scandaleuses. Expression ironique de la pensée : « se dépouiller », puis « se vêtir » (l. 3-6).

Arguments de faits, même s’ils sont totalement contradictoires.

  • Equation toujours égale : en augmentant les plaisirs d’une société, on en augmente dans la même proportion les maux : beaucoup de peine pour rien (« efforts » l. 11). Derrière l’opposition homme naturel / homme social se cache l’opposition individu / société. Diderot renouvelle cette opposition par celle individu / espèce. Avantage à l’état de nature.
  • Mais argument contraire (« cependant », l. 15) : la vie civilisée allonge la durée moyenne d’existence. Il reprend souvent cet argument, mais n’hésite pourtant pas, ici, à le contester : est-ce une norme ? (comparaison avec une machine)
  • Lieu où l’on est le plus libre, sans tabous : Tahiti (vision utopique de la vie primitive)…
  • … mais aussi Venise !

Diderot retrouve Voltaire et présente les deux aspects antagonistes du progrès. Prudence : « il m’est souvent venu dans la pensée… », « peut-être »…

La conception d’une durée moyenne de vie est toute nouvelle à l’époque : argument au départ d’un débat qui dure aujourd’hui encore (cf. Lévy-Strauss). Diderot présente des arguments pour et contre, et se garde de choisir. Ligne 21 : retour du conditionnel. « Je vois » signifie « dois-je voir ? »

« Parcourrai » = par l’esprit.

Diderot pose le problème de bonheur, et le fait comme le ferait Rousseau, pour qui tout va bien si l’homme est heureux. Il n’en est pas de même pour Voltaire (l’essentiel est que la condition de l’homme soit supportable ; cf. Candide) ; Rousseau est plus exigeant, mais aussi plus optimiste que Voltaire !

« Venise » : représente à l’époque le gouvernement d’oppression aristocratique.

Ces arguments sont fragiles, mais Diderot ne résiste pas au plaisir de les essayer.

« Je ne m’attendais pas à l’éloge de ce gouvernement » = litote. Diderot présente un paradoxe énorme : dire que le meilleur gouvernement d’un pays civilisé serait comparable à celui de Venise. Diderot, ~ Rousseau, ignore la pensée dialectique. Pourtant, ici, il en est tout proche.

« Les Grecs proscrivirent… » Diderot reprend ici Montaigne (I, ch. 23). Partout où il y a des lyres, il y a des cordes = métaphore : partout où il y a une société, il y a des lois arbitraires.

Diderot cite ensuite des personnages (connivence avec les lecteurs de son époque) :

  • Reymer, Gardeil : figures atroces, équilibre entre les sexes : un homme, une femme.
  • Tanié, Mlle de la Chaux : ce qu’il y a de sublime dans le dévouement amoureux ;
  • Le Chevalier Desroches : homme admirable, mais incapable de s’attacher sérieusement à une femme ;
  • Mme de la Carlière : femme admirable, mais qui a trop lu la Princesse de Clèves .

La morale artificielle produit chez l’homme le meilleur et le pire. « dépravation » (négatif) et malheur (connoté plus positivement). Diderot a pris des personnages fictifs, pour renvoyer à sa propre œuvre.

« Nous parlerons… » l. 61 : style et pensée de Montaigne. « Réformer » = changer complètement. « Celui qui… » (l. 63) = pensée de Socrate (Criton) qui meurt pour garantir les lois. Il faut obéir aux lois, non parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont les lois.

« Etres fragiles » : les Tahitiens. Leur société est fragile, il ne faut pas y toucher.

Le philosophe est présenté comme un être sociable, non révolutionnaire.

Retour (l. 79) du brouillard métaphorique : il tombe, il n’y a eu qu’une éclaircie.

Le dialogue se termine par une pointe.

Pour comprendre le Supplément , il faut lire Sur les femmes , qui prolonge la réflexion de Montaigne sur le même sujet. Lire aussi le passage sur le sublime dans le Neveu de Rameau .

Le Supplément au Voyage de Bougainville a-t-il une dimension ethnographique ?

Dialogue entre a et b à propos de bougainville, p. 142-144 (27-30).

Pour être un bon explorateur, il faut d’abord de solides connaissances scientifiques, et en particulier mathématiques : « un véritable Français, lesté […] d’un traité de calcul différentiel et intégral… » ; il faut en outre « de la philosophie, du courage, de la véracité », des qualités d’observation, de la curiosité, et des connaissances scientifiques : mécanique, géométrie, astronomie, histoire naturelle. Rien n’est dit de la connaissance des hommes : l’ethnographie est encore en train de naître.

Les premières observations rapportées portent sur les animaux sauvages (p. 143), puis sur   ce que nous appellerions aujourd’hui la dérive des continents. Elles concernent donc la zoologie et la géographie.

À propos de l’Île des Lanciers , Diderot mentionne le cannibalisme et l’infibulation des femmes, pures hypothèses ici, et qu’il attribue à la nécessité vitale de réduire la population dans un espace trop petit. Il s’agit ici de spéculations, et non d’observations.

À propos des Patagons : Où se trouve la Patagonie ? Quelle observation de Bougainville est ici rapportée ? Avec quelles réserves ? Montez que l’on trouve ici une première occurrence du « mythe du bon Sauvage ».

La Patagonie se trouve à l’extrême sud du Chili ; Diderot rapporte l’observation de Bougainville sur le physique étonnant de ces hommes, mais il met en doute la véracité de ce rapport, exagéré selon lui (cf. p. 145/34). Le mythe du « bon Sauvage » apparaît dans ce même passage :

«  C’est, à ce qu’il paraît, de la défense journalière contre les bêtes féroces qu’il tient le caractère cruel qu’on lui remarque quelquefois. Il est innocent et doux, partout où rien ne trouble son repos et sa sécurité « .

A propos d’Aotourou : qu’est-ce que « la fable de Tahiti » ? Quelle est la part de l’observation ethnographique ici ? La « fable de Tahiti » consiste à croire que la société Tahitienne, « qui représente l’enfance de l’humanité », soit simple et innocente. L’ethnographie contemporaine a au contraire montré la complexité extrême des sociétés dites primitives – et leur ancienneté. Lire à ce sujet Tristes Tropiques , de Claude Lévi-Strauss.

On trouve cependant dans ce passage une petite part d’observation ethnographique : sur la langue tahitienne (bien que Diderot semble confondre écriture et phonétique), sur « l’usage commun des femmes », et sur la difficulté à concevoir une réalité que l’on ne peut nommer (Umberto Eco a fait la même remarque à propos de Moctezuma dans Kant et l’Ornithorynque , Grasset, Paris, 1997, p. 131 et suiv.).

Discours du vieillard tahitien, p. 147-151 (39-47)

Relevez dans ce discours tout ce qui peut donner une idée des mœurs, coutumes, objets usuels… de la société tahitienne. Diderot donne-t-il une image précise de ces usages ? (habitat, économie, fêtes, religion, arts…)

  • L’on retrouve ici l’usage commun des femmes, quelques mots sur l’habitat (« nos cabanes »), les armes (arcs et flèches), le mode de vie : goût du repos, absence de maladies, et une allusion à une cérémonie de passage à l’âge nubile pour les jeunes filles : la mère « relève le voile » de la jeune fille.
  • Aucun de ces points n’est développé ; repos et santé semblent se référer au mythe du « paradis terreste » ou de l’âge d’or, et les autres mentions sont si générales qu’elles pourraient s’appliquer à n’importe quelle société non européenne.

Diderot reste dans le flou pour plusieurs raisons :

  • Pour donner un caractère d’universalité au discours du vieillard, dont A souligne peu après qu’il semble bien peu réaliste dans la bouche d’un vieillard tahitien, en principe non formé à l’éloquence romaine ;
  • parce que le but est la dénonciation de la société européenne, et non la peinture de la société tahitienne ; il ne faut donc pas disperser l’attention du lecteur ;
  • enfin, parce qu’il faut donner de cette société tahitienne une image idéale, en gommant des réalités qui pourraient lui être moins favorables.

Dialogue entre Orou et l’aumônier, 1ère partie, p. 153-160 (53-62) :

Qu’apprenons-nous sur les mœurs tahitiennes ? Dans quel domaine se situent les observations rapportées par Diderot ? Nous apprenons les règles d’hospitalité : l’hôte se voit offrir l’épouse et les filles de celui qui le reçoit ; l’on apprend également qu’avoir un enfant hors de tout lien de mariage, loin d’être un déshonneur, est ici une chance, et que ces enfants constituent une partie de la dot ; que le mariage en Tahiti n’est pas conclu pour une vie entière, mais se rompt dès que les époux le souhaitent ; en somme que les Tahitiens jouissent de la plus grande liberté sexuelle. L’intérêt de Diderot porte donc essentiellement sur les relations interpersonnelles et familiales.

Que pouvons-nous déduire des questions et des remarques d’Orou sur la société européenne ? – notamment en matière de religion et d’institutions. On peut déduire des questions d’Orou que Tahiti ignore les prêtres, et les magistrats, et n’a qu’une idée très approximative de la notion de Dieu.

Diderot imagine donc une société tahitienne très proche de ce que l’on pensait être « l’état de nature » : une société sans lois, sans institutions répressives, sans prêtres ni religion autre que « naturelle »… Il s’agit bien entendu d’une utopie.

Dialogue entre Orou et l’aumônier, 2 ème partie p. 161-165 (62-66) :

Qu’apprenons-nous :

  • sur l’organisation sociale, l’économie ? : il s’agit d’une société rurale, (p. 161 : « un agriculteur, un pêcheur, un chasseur… » de type matriarcal : « une femme emmène avec elle ses enfants qu’elle avait apportés en dot ».
  • sur les relations familiales : des relations assez égalitaires entre l’homme et la femme au sein du couple ; mais la femme semble avoir essentiellement pour rôle d’avoir des enfants.
  • sur la place de l’enfant dans la société tahitienne : l’enfant est au centre de la société tahitienne : toujours considéré comme un bien, il n’est jamais objet d’opprobre, ni abandonné.
  • sur les cérémonies : la plus importante semble être celle qui consacre le passage de l’enfance à l’âge nubile, pour les garçons et les filles : grande fête, au cours de laquelle les jeunes gens peuvent se choisir un partenaire (p. 163-164 / 65-66)

Tout l’intérêt de Diderot porte donc, ici encore, sur la question de la liberté sexuelle, du mariage, et des relations familiales. La description qu’il donne de la cérémonie évoque des fêtes de l’âge d’or, et une société plus mythique que réelle.

Là encore, l’ethnographie contemporaine rapporte plutôt des règles de mariage extrêmement contraignantes, et des liens de parentés très compliqués dans les sociétés dites primitives, telles que les indiens du Brésil (Tristes Tropiques)

Dialogue entre Orou et l’aumônier, 3 ème partie p. 167-177 (71-80)

Quels sont les interdits dans la société tahitienne ? Comment s’expriment-ils ? Comment leur transgression est-elle châtiée ? La société tahitienne vous semble-t-elle répressive ? Les interdits touchent tout ce qui a trait à des relations sexuelles non fécondes : avec des personnes stériles, pendant la période des règles ou durant la grossesse. Ceux qui transgressent ces interdits n’encourent pas d’autre châtiment que le blâme : la société tahitienne ignore la répression !

Quels tabous sont ignorés de la société tahitienne ? Diderot vous semble-t-il approuver cette ignorance ? Les Tahitiens, selon Diderot, ignorent l’adultère (puisqu’on peut rompre un mariage à volonté) et l’inceste, « qui ne blesse en rien la nature » – on ignorait les dangers de la consanguinité ! Aux yeux de Diderot, de tels interdits, non fondés en raison, sont absurdes.

Cette description des mœurs tahitienne vous semble-t-elle relever de l’observation scientifique, ou de la « fable de Tahiti » ? Cette description semble relever davantage d’une observation superficielle, et d’une utopie, que d’une observation sérieuse de la société tahitienne ; l’absence d’institutions, de religion, de tabous ne plaide pas en faveur d’une réelle observation.

Mais la fonction de ce texte n’est pas de nature ethnographique : il s’agit seulement de construire une utopie, dont le but est de proposer un contre-modèle de la société européenne, et de dénoncer les tares de celle-ci ; dès lors, il importe peu que l’image de la société tahitienne soit conforme à la réalité ; il suffit qu’elle ne contredise pas les observations des navigateurs, et qu’elle soit cohérente.

Les philosophes ne s’intéressent pas réellement à la société qu’ils observent, moins en tous cas que Montaigne : cf. le chapitre « Des Cannibales » (I, 31) : celui-ci allait jusqu’à s’intéresser à la nourriture, aux vêtements… Rien de tel chez Diderot, ni, on le verra, chez Voltaire ( L’Ingénu ) : il s’agit simplement de donner un contre-modèle de la société française, positif chez Diderot, négatif chez Voltaire. D’où le peu d’intérêt pour les objets concrets, les coutumes, les institutions (chez Diderot, on pourrait croire qu’il n’y a pas de gouvernement, ni de chefs !) et l’art de ces peuples : le mot n’est même pas mentionné, ni chez Voltaire, ni chez Diderot !

Le vrai Bougainville à Tahiti

Né à Paris en 1729, Louis Antoine de Bougainville était un navigateur. Le 12 Octobre 1754, il est nommé secrétaire d’ambassade à Londres. Premier aide de camps de Montcalm en 1756 aux côté de qui il combattit aux plaines d’Abraham en 1759, il devint capitaine de frégate en 1753 et tenta en vain de coloniser les îles malouines(1763-1765).

En 1766, il partit de Brest à bord de la frégate la Boudeuse, gagna l’Amérique du sud et le détroit de Magellan, atteignit Tahiti en 1768 où il resta 10 jours. Le 15 mai 1771, il publia le récit de son voyage autour du monde qui développa le mythe du « paradis polynésien « .

Rentré à St Malo en 1769, Bougainville, premier capitaine français à avoir effectué le tour du monde, fut promu chef d’escadre en 1779 et resta fidèle à Louis XVI lors de la révolution.

Il mourut à Paris en 1811.

Le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot

Le Supplément au voyage de Bougainville est le troisième texte d’une série composée par Diderot en 1772 et conçue comme un ensemble :

  • Ceci n’est pas un conte
  • Madame de Carlière
  • et le Supplément au voyage de Bougainville.

Le Supplément se présente comme une méditation après une lecture. Le texte de Diderot apparaît comme un débat d’idées. C’est   une réflexion philosophique sur les questions que Diderot se posait en ce qui concerne les lois naturelles.

En mettant en scène un débat entre un sauvage et un européen, Diderot, grâce à la double énonciation, exprime ses idées philosophiques sur la société dite  » civilisée « .

Bougainville à Tahiti

Tahiti, un paradis terrestre.

  • Bougainville découvre Tahiti et ses habitants.
  • Lorsqu’il arrive sur l’île, il la voit comme le paradis sur Terre. Cf. p235  » Je me croyais transporté dans le jardin d’Eden « 
  • Il garde le souvenir d’un endroit magnifique où les gens sont gentils, accueillants. Pour lui, c’est une nouvelle définition du bonheur.

La population tahitienne

  • Il insiste beaucoup sur le fait qu’ils venaient en grand nombre pour les accueillir en utilisant les mots qui généralisent. Cf. p 231  » Le chef et tout le monde  » ;  » tous les hommes, toutes les femmes  » ;  » tous ceux « 
  • Personne n’est laissé au hasard : pour Bougainville, c’est une gentillesse générale. Les Tahitiens sont heureux de recevoir les Européens et ça se sent par leur hospitalité. Ils les invitent dans leur maison. Cf.p 229  » Le chef de ce canton nous conduisit dans sa maison et nous y introduisit  » Ils leur donnent à manger. Cf.  » Le chef nous proposa ensuite de nous asseoir sur l’herbe,…où il fit apporter des fruits, du poisson grillé et de l’eau « .
  • Et surtout, ils leur offrent des jeunes filles. Cf. p 226  » ils nous pressaient de choisir une femme, de la suivre…  » On peut dire que le mot clef, ici, c’est l’hospitalité.   Les Européens ont été très étonnés par la beauté et la simplicité des habitants.
  • Ils n’y a aucune pudeur, ils ne cachent rien. Ils ont la réputation d’être curieux. Ils ne se lassent pas de les considérer. Cf. p 227  » Ce peuple qui examinait en tumulte toutes les parties de son corps  » ;  » Après l’avoir bien considéré ils lui rendirent ses habits « 
  • Ils ne se cachent pas de cette curiosité. Certains n’hésitaient pas à venir les toucher, écarter leur vêtements. Ils tenaient à savoir si ils étaient tous identiques à eux.
  • Ils ne sont pas embarrassés et n’hésitent pas à s’exhiber. Cf. p 225  » La plupart de ces nymphes étaient nues, car les hommes et les vieilles, qui les accompagnaient, leur avaient ôté la pagne dont ils étaient ordinairement elles s’enveloppent « .
  • Les femmes se donnent naturellement aux hommes.
  • Ils n’expriment aucune crainte, aucune méfiance. En effet, ils ne portent pas d’armes, sont pacifiques et n’hésitent pas à se promener seuls ou en petits groupes. Cf.p231  » Quatre insulaires vinrent avec confiance souper et coucher à bord  »  » Aucun ne portaient d’armes ni même de bâton  » Ils vivent simplement et dans la nature toute la journée. Ils ne travaillent pas, tout est à leur leur portée. On a vraiment une idée du paradis. Bougainville parle du caractère doux de la nation.
  • Absence de méfiance et de haine . Ils vivent en groupe au quotidien, sont très unis. Ils partagent tout, ils n’y a pas de jalousie. Les hommes et les femmes sont égaux, on ne fait pas de distinctions sauf pour le vieillard.   Il représente la voix de la sagesse donc il est plus considéré que les autres habitants. Ils vivent en harmonie entre eux. Bougainville a tendance, peut-être, à idéaliser toute cette réalité. cela semble trop beau pour être vrai. *Il ne semble pas régner de guerre civile par contre ils sont toujours en guerre avec les îles voisines(Cf.p225)
  • Les tahitiens jouissent de ce que la nature leur donne. Cf. «  La terre se jonchait de feuillages et de fleurs  » ;  » La nature berce à pleine mains  » La nature offre tout donc l’homme n’a plus rien à faire. C’est la perfection absolue, Bougainville ne voit aucun inconvénient. Une fois de plus, peut-être a-t-il tendance à idéaliser cette vie.
  • Un lieu sain. On y vit très longtemps, on ne travaille pas ou très peu et on a tout ce que l’on veut. C’est comme si la vieillesse n’existait pas. Par exemple, le vieillard n’a de signe de vieillesse que sa couleur de cheveux et pas d’autres marques de décrépitude. Contrairement à ce qui se passe en Europe, la vieillesse ne laisse pas de trace à Tahiti.

Les personnages communs à Diderot et Bougainville.

  • Aotourou est le tahitien qui est allé en Europe avec Bougainville. Chez Diderot, B dit à A que Aotourou s’ennuyait avec les Européens. Cf. p 36  » Il s’ennuyait parmi nous  » Alors que Bougainville, lui, dit expressément le contraire. Cf. p 263  » Il y est resté onze mois, pendant lesquels il n’a témoigné aucun ennui  » Cf. p 264-265  » Le seul de nos spectacles qui lui plût était l’opéra ;car il aimait passionnément la danse « . Donc le personnage est le même chez les deux auteurs mais Bougainville et Diderot diffèrent sur Aotourou et sur son séjour en Europe.
  • Le vieillard est le père du chef Ereti (celui qui accueille Bougainville). Les deux auteurs sont d’accord sur le physique et le comportement du vieillard face aux étrangers. Mais chez Bougainville, le vieillard n’apparaît qu’à l’arrivée des Européens. Jamais il ne fait ses adieux comme chez Diderot.
  • Diderot fait dialoguer et débattre un sauvage, Orou, et le représentant de la pensée européenne : l’aumônier. Cependant, à la différence du texte original, le débat ne porte que sur un thème : la morale sexuelle.

Bibliographie

  • Montaigne : Des Cannibales (Essais I, 31)
  • Louis-Antoine de Bougainville : Voyage autour du monde (éditions Pockett) : lire en particulier la seconde partie, chapitres II et II (séjour à Tahiti)
  • Jean-Claude Carrière : La Controverse de Valladolid
  • Vivant Denon : Point de lendemain (édition Librio)
  • Diderot : La Religieuse
  • Diderot : Les Bijoux indiscrets
  • Laclos : Les Liaisons dangereuses
  • Claude Lévi-Strauss : Tristes Tropiques : lire en particulier les parties six, sept et huit, consacrées aux Indiens Bororo, Nambikwara et Tupi-Kawahib.
  • Rousseau : Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les Hommes
  • Jean-Christophe Ruffin : Rouge Brésil , Gallimard, 2001.
  • Voltaire : L’Ingénu

Oral du bac de français

Ecrit du bac de français, pour aller plus loin.

Problématique : Comment Diderot va-t-il comparer les deux types de civilisation ? Lecture du texte

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Supplément au voyage de Bougainville : le mode de vie des Tahitiens comme modèle des Lumières

Nous vous proposons ici un voyage vers des contrées caressées par les alizés avec l’esprit critique de Denis Diderot (1713-1784). En effet, dans ce Résumé de Supplément au voyage de Bougainville, vous découvrirez que le philosophe des lumières est critique quant à ce qu’il a pu lire du Voyage autour du monde de l’explorateur et navigateur français Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811), paru en 1771. Ce journal de bord relate la circumnavigation de Bougainville entre 1766 et 1769.

Dans son Supplément au voyage de Bougainville, Denis Diderot met en scène deux protagonistes nommés A et B. B souhaite présenter un soi-disant supplément au récit de Bougainville remettant en question certains faits. Cinq chapitres développent cet argumentaire.

Chapitre 1: Amorce du récit et considérations générales sur le voyage de Bougainville

Dans ce premier chapitre du Supplément au voyage de Bougainville, les deux personnages attendent que le brouillard disparaisse afin de pouvoir continuer leur cheminement. Dans cette attente, B lit le Voyage autour du monde du célèbre navigateur ainsi qu’un soit-disant supplément à ce récit. A n’a jamais lu ledit ouvrage et questionne son compagnon sur la nature de l’auteur. B résume ainsi les grandes étapes de ce périple autour du monde.

B aborde les difficultés rencontrées par les deux navires de l’expédition : La Boudeuse et L’Etoile : lutte contre les éléments naturels, avaries, maladies, rationnement, etc. La navigation n’était pas chose aisée même au Siècle des Lumières.

Puis B évoque certains faits relatés dans divers autres récits de voyage : l’expansionnisme colonial des Jésuites du Paraguay et leur expulsion, la rumeur des géants vivants en Patagonie, la sagesse et la qualité de vie des habitants des îles du Pacifique ou encore l’histoire du Tahitien, Aotourou, qui accompagna Bougainville jusqu’en métropole. A démontre un vif intérêt pour ce Supplément au voyage de Bougainville. B l’encourage alors dans la lecture de ce récit complémentaire.

Dans le chapitre suivant, notre Résumé de Supplément au voyage de Bougainville présente un supposé extrait du Supplément dont B faisait l’éloge à A.

Chapitre 2 : L’hostilité du vieux Tahitien à l’encontre de Bougainville

Dans la suite du Supplément au voyage de Bougainville, Denis Diderot donne la réplique à un vieillard indigène qui reproche aux habitants de l’île d’être tristes du départ des Français. En tant que figure de sagesse, les propos du vieillard sont forts. Il considère les voyageurs comme des envahisseurs. Leur visite ne doit pas être un sujet de joie mais d’inquiétude. Quand ils reviendront, ils corrompront son peuple avec leurs mœurs divergentes et mauvaises.

Dans ce passage du Supplément au voyage de Bougainville, le vieillard s’adresse directement à Bougainville qu’il nomme « chef des brigands ». L’influence de son équipage est mauvaise pour les Tahitiens. Le bonheur « édénique » de ces derniers est troublé.

Le lecteur est littéralement plongé dans un réquisitoire pour défendre la vie sauvage des insulaires face à la prétendue civilisation européenne. Le vieux Tahitien va jusqu’à souhaiter la mort de Bougainville et de son équipage sur le chemin du retour. Ainsi garderont-ils secrète la découverte de Tahiti.

Dans son Supplément au voyage de Bougainville, Denis Diderot affirme que Bougainville a vraiment vécu cette entrevue avec le vieux Tahitien mais qu’il n’a pas voulu la retranscrire en raison de son hostilité.

Dans la suite de notre Résumé de Supplément au voyage de Bougainville, nous verrons que Diderot offre à son lecteur un prétendu passage du Supplément que lit B.

Chapitres 3 et 4 du livre de Diderot : l’entretien entre un Tahitien et un jésuite

Deux personnages sont introduits. Orou, un hôte âgé d’une trentaine d’années qui est marié et père de trois filles. Un aumônier jésuite du même âge qu’Orou. Un fait étonnant mais établi dans les mœurs tahitiennes, l’hôte offre une de ses quatre épouses à l’aumônier pour la nuit. L’Occidental refuse au nom de sa religion. Une conversation s’amorce entre les deux hommes. Orou souhaite que le religieux s’accommode des mœurs tahitiennes.

Le jésuite cède et passe la nuit avec la plus jeune des filles d’Orou, qui se nomme Thia. Un siècle plus tard, le peintre Paul Gauguin (1848-1903) n’aura pas à se faire prier pour passer des moments voluptueux avec de jeunes tahitiennes.

Au matin suivant, Orou souhaite savoir ce que signifie « la religion ». Un discours théologique s’amorce alors dans ce Supplément au voyage de Bougainville . Le Jésuite devise sur la conception chrétienne du cosmos. Tout ce qui existe est l’œuvre de Dieu, le Tout-Puissant. Il est éternel et insaisissable. La question du Bien et du Mal est posée. Le religieux présente le Dieu chrétien enfermé dans un rôle moralisateur.

C’est lui qui dicte ce qui est bon et mauvais pour l’homme. Pour Orou, cette vision est inconcevable. Il démontre au jésuite que sa vision d’un Dieu moralisateur n’est ni conforme à la Nature, ni à la Raison. Denis Diderot expose là une problématique chère aux philosophes des Lumières. Pour Orou, les lois qui régissent la civilisation occidentale n’ont aucun sens. Les injonctions morales, sociales et juridiques ne signifient rien.

Continuons notre Résumé de Supplément au voyage de Bougainville en abordant le point du de vue d’Orou sur bien des sujets qui opposent la civilisation européenne et la civilisation polynésienne. Selon le Tahitien, dans une union, le culte de la maternité prévaut. La richesse d’une communauté réside dans les enfants. Enfin, l’importance des rituels est primordiale pour la cohésion du groupe.

Le Résumé de Supplément au voyage de Bougainville se poursuit avec le chapitre 4 qui est une continuité de l’entretien entre Orou et le jésuite. Ce dernier a du mal à saisir la notion de libertinage amoureux tant répandu chez les Tahitiens. En effet, pour les insulaires la procréation est au centre de tous les rituels de la communauté.

Les transgresser, c’est « tabou », pour reprendre le terme exacte qui est développé longuement par Herman Melville dans son ouvrage Taïpi (1846). Ce récit autobiographique se déroule sur une des îles de l’archipel des Marquises. Diderot profite de cet échange pour fustiger les vœux de chasteté du clergé catholique. Ce vœu est contraire à la nature et donc à la raison.

Dans la suite de notre Résumé de Supplément au voyage de Bougainville, nous reprendrons le dialogue entre nos deux protagonistes d’origine, A et B.

Chapitre 5 : Suite et fin du dialogue entre A et B

A et B continuent d’échanger à propos des mœurs tahitiennes. Bien entendu, ils les approuvent. Denis Diderot leur fait dire que la civilisation occidentale a asservi les hommes avec des lois artificielles et contraires à la nature.

Pour le philosophe des Lumières, les sociétés européennes ont tort de ne pas vouloir laisser les hommes vivre selon les lois de la nature. La morale et la religion sont présentées comme les sources du malheur de l’Européen. Il a perdu sa nature édénique, pourrait-on dire.

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Voyage autour du monde Bougainville, 1771

Si Bougainville était bon mathématicien, son talent littéraire valut au récit de son voyage, publié pour la première fois en 1771, un succès qui s'est prolongé jusqu'à nos jours. Premier ouvrage de ce genre écrit par un officier de la marine royale, le Voyage se distingue par un style clair où la grande culture classique de son auteur apparaît à chaque page. Les descriptions des sites visités, des populations rencontrées alimentèrent ou renouvelèrent les discussions philosophiques sur « l'homme naturel » que Bougainville avait pu observer lors de sa traversée du Pacifique. Il fut ainsi à l'origine de toute une série d'ouvrages initiateurs du paradis mythique des mers du Sud dont le plus célèbre fut le Supplément au Voyage de Bougainville écrit par Diderot dès 1772, publié seulement en 1796. Le Voyage de Bougainville marque une étape importante dans la littérature maritime et philosophique du Siècle des Lumières.  

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Approfondir

  • À propos de l’œuvre
  • L'expédition de Bougainville
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  • L'inégalité des conditions à Tahiti
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Analyse du Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot

Chapitre i, fin du dialogue entre a et b.

I) Le regard de l’autre

a) A donne à voir le point de vue des Européens

Le personnage A représente le point vu des Européens, face à ce que dit B qui représente le point de vue de Bougainville. A pense que B enjolive la réalité “ Est-ce que vous donneriez dans la fable de Tahiti ?”, tout ce qui est présenté comme étant plus beau que l’ancien monde n’est pas réel aux yeux de l'Européen qui demande des preuves “Et où trouve-t-on ce supplément ?”. A cherche des explications, il veut savoir toute la vérité : “Assurément je le veux”.

b) B montre l’incompréhension des Tahitiens

B montre l'incompréhension des Tahitiens, qui voient une Europe déraisonnable alors que tous les européens pensent qu’elle est merveilleuse. Le seul adjectif qu’emploie B pour caractériser l’Europe est “folle”. B amène une réflexion sur le langage, les tahitiens ont une culture tellement différente qu’ils n’ont pas les mots pour exprimer ce qui est trop différent d’eux : Aotourou est le reflet de sa civilisation “il ne trouvera dans sa langue aucun terme correspondant a celles dont il a quelques idées”. En effet, selon B les tahitiens ne voudront pas croire Aotourou : “Parce qu'en comparant leurs moeurs aux nôtres, ils aimeront mieux prendre Aotourou pour un menteur, que de nous croire si fous”.

c) La thèse de Diderot

Selon Diderot, il faudrait vivre en contact avec la nature et non dans l’artifice. L'Européen a l’art de tout compliquer afin de priver l’homme de sa liberté. Ainsi on voit clairement que Diderot exprime ses idées à travers le personnage de B qui aura le dernier mot.

II) La critique de la civilisation Européenne

a) Les oppositions entre la vie sauvage et les sociétés civilisées

La vie sauvage est selon B une vie facile, en connexion avec la nature par opposition à la vie Européenne faite d’entraves et de lois qui restreint la liberté des êtres humains de différentes manières : “les entraves déguisées sous cent formes diverses, entraves qui ne peuvent qu'exciter l'indignation et le mépris d'un être en qui le sentiment de la liberté est le plus profond des sentiments”. La société Européenne, contrairement à la vie Tahitienne est basée sur la modification et la maîtrise de ce que la nature a donné : “nos sociétés sont des machines si compliquées”.

b) Diderot montre que la civilisation européenne est sur le déclin

Diderot compare avec une métaphore l’ancien monde comme une personne qui “touche à sa vieillesse” et le nouveau monde comme un “enfant [...] à l’origine du monde”. Cette métaphore montre le contraste qu’il y a entre les deux mondes : l’ancien monde vit dans le développement et le progrès alors que le nouveau monde vit en connexion avec la Terre. 

c) La symbolique de la disparition du brouillard (disparition du dialogue lui-même, révélation des idées des Lumières)

A a finalement compris qu’il ne connaît pas toute la vérité au sujet des Tahitiens. Le brouillard est une métaphore de la disparition du dialogue : la discussion entre A et B est terminée.  Le brouillard qui retombe montre l’obscurantisme de A qui disparaît et son esprit qui s’ouvre sur les idées des lumières. “Assurément, je le veux, voilà le brouillard qui retombe, et l'azur du ciel qui commence à paraître. Il semble que mon lot soit d'avoir tort avec vous jusque dans les moindres choses ; il faut que je sois bien bon pour vous pardonner une supériorité aussi continue !”

Chapitre II, Les adieux du vieillard

I) Une condamnation de la colonisation et de l’esclavage

 1.  Un discours pathétique

 •  “Un jour, ils reviendront, le morceau de bois que vous voulez attaché à la ceinture de celui-ci, dans une main, et le fer qui pend au côté de celui-là, dans l'autre, vous enchaîner, vous égorger, ou vous assujettir à leurs extravagances et à leurs vices” : le vieillard continue son discours prophétique: il fait une description des Européens qui au retour tiendront un morceau de bois et une épée pour asservir les Tahitiens et les exploiter pour leurs vices. Diderot utilise des termes qui connotent la violence pour mettre l’emphase sur la nature cruelle et hypocrite des Européens.  

 •  “un jour vous servirez sous eux aussi corrompus, aussi vils, aussi malheureux qu'eux”: Le vieillard décrit les Européens comme des personnes qui baignent dans le malheur et à cause de celui-ci ont recours à la violence.

 •  “Mais je me console ; je touche à la fin de ma carrière ; et la calamité que je vous annonce, je ne la verrai point.”: le vieillard se sent soulagé parce qu’il ne verra pas les horreurs des Européens à cause de son âge avancé.

 •  “Tahitiens ! ô mes amis ! vous auriez un moyen d'échapper à un funeste avenir ; mais j'aimerais mieux mourir que de vous avoir donner le conseil. Qu'ils s'éloignent, et qu'ils vivent." : Pour soutenir son argumentation dans son discours, le vieillard interpelle deux fois les habitants de Tahiti. Une première fois il les appelle par leur nationalité, puis il utilise l’apostrophe,  le vocatif et le terme d'amitié pour garder leur attention. Le vieillard précise que les Tahitiens ont un seul moyen d'échapper  à leur funeste avenir qui est de chasser les Européens de leur pays.

 2.  Le vieillard, un porte-parole des Lumières  

 •  «ce vieillard s'avança d'un air sévère, et dit :"Pleurez, malheureux Tahitiens ! pleurez ; mais que ceci soit de l'arrivée, et non du départ de ces hommes ambitieux et méchants : un jour, vous les connaîtrez mieux”»: Diderot utilise un personnage vieux qui représente la sagesse pour faire passer un message prophétique. Le vieillard commence son discours en disant que les Européens vont revenir pour coloniser la Polynésie.

 •  “Qu'ils s'éloignent, et qu'ils vivent." : Utilisation du subjonctif pour évoquer son souhait de les voir partir et puisqu’il incarne la philosophie des Lumières, le vieillard bénit les Européens.    

 •  “Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta : "Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ”: Le vieillard utilise l'impératif pour prendre autorité comme chef du village. Il indique que les tahitiens sont innocents et heureux sans eux.   

 •  « et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère» : le vieillard précise que les européens sont nocif aux Tahitiens. Il ajoute aussi, que leur mode de vie est rythmé par la nature et que les Européens ont voulu l’effacer de leurs gênes ( caractère génétique).

 II) Un éloge de la vie sauvage par opposition au mode de vie des européens

 1.  L’éloge de la vie sauvage

 •  “Au départ de Bougainville, lorsque les habitants accouraient en foule sur le rivage, s'attachaient à ses vêtements, serraient ses camarades entre leurs bras, et pleuraient, ce vieillard s'avança d'un air sévère”:  Diderot décrit le comportement des sauvages de Tahiti lors du débarquement de Bougainville. D'après le narrateur, les tahitiens se comportent dans la joie. Ils touchent les vêtements des Européens pour les découvrir mais pas pour les leur arracher. Ils serraient leurs camarades dans leurs bras. Diderot fait une description du comportement presque enfantin des Tahitiens.  

 •  “Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous” : Diderot fait un éloge sur la vie tahitienne où la polygamie maintient une harmonie. Montre une égalité entre les hommes et les femmes.  

 2.  La condamnation du mode de vie européen

 •  “Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta : "Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux”: Le vieillard continue son discours en s’adressant à Bougainville, il caractérise les européens comme des brigands ( ils voleront leurs richesses).

 •  “Ici tout est à tous ; et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien”: Le vieillard précise que la notion de propriété n’existe pas chez les tahitiens.  

 •  “et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs.”: Le vieillard critique les actions des européens qui ont rendu les femmes jalouses, un sentiment qu’elles ignoraient.

Chapitre III, L’entretien de l’aumônier et d’Orou

I ) Le regard du Tahitien 

1) La remise en cause de la religion

Le point  de vue, dans le Supplément au voyage de Bougainville, est celui d’un tahitien fictif. Ce point de vue étranger permet à Diderot de faire passer ses idées en se protégeant de la censure. L’expression du doute à travers les questions rhétoriques (“Sur quoi ce droit serait-il fondé ?”, “qui se plaint et qui souffre ; et qui ne saurait devenir un effet de commerce, sans qu’on oublie son caractère, et qu’on fasse violence à la nature ?, “ Peuvent-ils faire que ce qui est juste soit injuste, et que ce qui est injuste soit juste ?” ) permet au narrateur de remettre en cause la religion.

2) Le concept de Dieu perçu comme contradictoire

Le personnage d’Orou définit Dieu par la périphrase “vieil ouvrier” qui est un terme utilisé par les philosophes des Lumières qui sont déistes : “Je ne sais ce que c’est que ton grand ouvrier”. Les énumérations et les antithèses définissent Dieu comme une entité capable de tout mais qui ne sert à rien: “qui commande et qui n’est pas obéi ; qui peut empêcher, et qui n’empêche pas.” Ainsi, le concept de Dieu est perçu par le tahitien comme contradictoire.

3) La souveraineté de la nature

Les nombreuses antithèses montrent que pour le personnage d’Orou, les lois humaines sont contraires à la nature : “Rien, en effet, te paraît-il plus insensé qu’un précepte qui proscrit le changement qui est en nous ; qui commande une constance qui n’y peut être, et qui viole la liberté du mâle et de la femelle, en les enchaînant pour jamais l’un à l’autre”. Cependant, on pourrait lui opposer l’argument que de nombreux oiseaux vivent en couple et sont fidèles l’un à l’autre pour une saison (les chouettes, les canards) ou pour toute la durée de leur vie (les cygnes, les inséparables, de nombreux perroquets et perruches…).

L’usage de la périphrase “souveraine maîtresse” pour qualifier la nature montre que pour les tahitiens la nature devrait être la seule règle à suivre.

II) Un discours digne d’un philosophe des Lumières

1) Les étapes du raisonnement du Tahitien

Le raisonnement du Tahitien se décompose en trois étapes distinctes. Premièrement, il constate que les actions des Européens sont déraisonnables car contraires à la nature : “je les trouve opposés à la nature, et contraires à la raison”.

Ensuite, il s’interroge sur la capacité des hommes à prendre des bonnes décisions : “qui se plaint et qui souffre ; et qui ne saurait devenir un effet de commerce, sans qu’on oublie son caractère, et qu’on fasse violence à la nature ?” Le Tahitien pense à la fois à l’harmonie sociale et au bonheur individuel qui passent par l’assouvissement des besoins et désirs essentiels à la vie, et que les Européens ne cessent de contrarier et de contraindre en assignant une dimension morale à des actes naturels qui n’en comportent pas selon lui, telles les relations intimes. Enfin, il affirme que l’homme doit garder son libre arbitre et rester maître de lui-même : “Il n’y a point de bonté qu’on ne pût t’interdire ; point de méchanceté qu’on ne pût t’ordonner.”

2) Le portrait de l’homme civilisé

Le portrait de l’homme civilisé que fait le Tahitien est péjoratif. Selon lui, les Européens ne sont pas raisonnables et oeuvre pour leur propre malheur en éditant des lois qui sont contraire à la nature : “Contraires à la nature, parce qu’ils supposent qu’un être pensant, sentant et libre, peut être la propriété d’un être semblable à lui.” Ses actes déraisonnables sont responsables de conflits causés par la jalousie engendrée par la propriété.

3) Orou un philosophe des Lumières 

Le personnage d’Orou est le porte-parole de Diderot car son discours est digne d’un philosophe des Lumières. En effet, nous observons un discours très structuré avec plusieurs étapes logiques dans son argumentation. Il mène une réflexion métaphysique au sujet de Dieu : “fâcher à tout moment le vieil ouvrier, qui a tout fait sans mains, sans tête et sans outils ; qui est partout, et qu’on ne voit nulle part”. Ses arguments portent aussi une réflexion philosophique sur le bonheur et la morale : “sont-ils maîtres du bien et du mal ?” Ce discours est mené par un personnage sans éducation, ce qui est paradoxal voire invraisemblable. C’est pourquoi on peut affirmer que le récit du voyage à Tahiti énoncé dans le Supplément au voyage de Bougainville est une utopie, c’est-à-dire un récit fictif construit dans le but d’agir comme un miroir pour le lecteur qui va le comparer à la société à travers il vit.

III) Une société qui dénature l’homme

1) La nature est sous le signe du mouvement

La fidélité et le mariage sont des signes d’emprisonnement pour Orou. Selon lui, ils nous privent de liberté en nous enchaînant à un partenaire. Or la nature est en perpétuel mouvement : “Rien, en effet, te paraît-il plus insensé qu’un précepte qui proscrit le changement qui est en nous ; qui commande une constance qui n’y peut être”. La nature est synonyme de liberté.

2) Orou invite à dissocier les actions des valeurs morales qui leur sont associées

Orou invite à dissocier les actions des valeurs morales qui leur sont associées car autrement les valeurs morales seraient fluctuantes et soumises au bon vouloir d’hommes puissants chargés de régler la conduite de tous les autres : “dépend-il d’eux d’attacher le bien à des actions nuisibles, et le mal à des actions innocentes ou utiles ? Tu ne saurais le penser, car, à ce compte, il n’y aurait ni vrai ni faux, ni bon ni mauvais, ni beau ni laid”.

3) Les lois européennes empêchent l’homme d’être heureux

Les lois européennes empêchent l’homme d’être heureux car elles provoquent de la confusion et sont souvent impossibles à mettre en oeuvre ou à respecter : “Et où en serais-tu réduit, si tes trois maîtres, peu d’accord entre eux, s’avisaient de te permettre, de t’enjoindre et de te défendre la même chose, comme je pense qu’il arrive souvent ?”

Chapitre III, Polly Baker

Introduction :

Les femmes ont dû se battre pour obtenir l'égalité des sexes qui est encore aujourd'hui un grand sujet de débat. Ainsi dans ce texte écrit par Diderot un philosophe des lumières le personnage de Polly Baker se bat pour faire entendre sa voix. En quoi ce texte défend-il les droits des femmes face à l’oppression masculine ? Nous étudierons en un premier temps le discours efficace de Polly et en un second temps le discours émouvant. 

I) Un discours efficace

a) Les deux statuts de la femme dans la société

Au XVIIIème siècle, la femme pouvait avoir deux conditions de vies. La première est quand elle est mariée, elle est considérée comme une femme honnête ayant tout les droits : “deux jours après il épousa Miss Baker, et fit une honnête femme”. Mais elle peut être aussi maltraitée à condition qu'elle aie eu un rapport avant le mariage et donc est considérée comme une femme publique. À ce moment là, elle est battue ou doit payer une amende jusqu'à la ruiner : “La loi condamne toutes les personnes du sexe qui ne doivent le titre de mère qu’au libertinage à une amende, ou à une punition corporelle”.

b) L’ironie

Polly utilise beaucoup de question rhétorique pour mieux se faire entendre sans trop de jugement. Elle essaye de retourner la situation pour que les magistrats se sentent mal à l'aise suite à ça :”vous m’avez déjà exclue de la communion de l’église, cela ne suffit-il pas ?”. 

Elle utilise également l'ironie pour leur faire comprendre qu’ils devraient plutôt l’admirer comme une héroïne puisqu’elle a réussi à élever ses 5 enfants seule sans un sou avec ce titre de femme publique : “j’ai peine à croire que ce me soit un grand crime d’avoir donné le jour à de beaux enfants que Dieu a doués d’âmes immortelles et qui l’adorent”. 

De plus, par une ironie du sort, l'homme qui a causé ses malheurs et son déshonneur est un magistrat, donc il incarne la loi et devrait être irréprochable : “Cet homme, vous le connaissez tous : il est actuellement magistrat comme vous et s’assied à vos côtés”.

II) Un discours émouvant

a) Une femme polie et douce

Pour commencer et achever son discours, Polly Baker utilise des formules de politesse pour qu'elle soit écouté: “Permettez moi, Messieurs”, “Pardonnez, Messieurs,”.

Polly Baker utilise la gentillesse et non l'agressivité pour essayer de convaincre les juges. Elle ne leur demande pas leur Clémence mais tente de se faire plaindre si le supplice arrivait :”ce que j’ose espérer, c’est que vous daignerez implorer pour moi les bontés du gouvernement et obtenir qu’il me dispense de l’amende.” 

b) Le registre pathétique

Dans ce texte le registre pathétique est très présent : “qu’il aurait intéressé votre pitié en ma faveur, en faveur d’une malheureuse”. Par ce biais, Polly espère susciter la pitié des juges. D'ailleurs, elle se plaint beaucoup de cet homme qui est magistrat comme eux et qui a détruit sa vie en lui faisant perdre sa virginité avant le mariage qu’il lui avait promis sans tenir sa parole. Elle essaye de leur montrer qu'elle n'y est pour rien et en même temps elle leur demande d’être cléments : “Mais est-ce ma faute ?”, “Ce sont eux qui troublent la tranquillité publique ; voilà des crimes qui méritent plus que le mien l’animadversion des lois.”

Conclusion :

Ainsi, le discours de Polly Baker est efficace car elle réussit à s’attirer la clémence des juges et à obtenir le mariage de l’homme qui l’avait perdue : “deux jours après il épousa Miss Baker, et fit une honnête femme de celle dont cinq ans auparavant il avait fait une fille publique.” Ce discours a une portée universelle car il défend la position de la femme face à l'homme qui, à cette époque, exerce sur elle un pouvoir absolu.

Chapitre V, Fin du dialogue entre A et B

I) La leçon finale

B répond aux interrogations de A en lui donnant une leçon. L'échange n'est pas équilibré puisque B parle beaucoup plus que A. B parle en utilisant des maximes comme par exemple : « Il y a moins d'un inconvénient à être fou avec des fous qu'à être sage tout seul. » Ou encore : «la honte, le châtiment et l'ignominie sont les plus grands de tous les maux ». La métaphore du brouillard qui était épais au début de la discussion entre A et B, mais qui se dissipe maintenant, indique que B en tant que philosophe des lumières, a éclairé A, dont l'esprit n'est maintenant plus embrouillé : « Et ce brouillard épais, qu'est-il devenu ? Il est retombé. » 

II) Une conclusion paradoxale

Le Supplément au voyage de Bougainville fait l'éloge d'une société primitive non corrompue qui s'oppose à la civilisation européenne dans laquelle les personnages fictifs A et B évoluent. C'est ce que l'on appelle le mythe du bon sauvage. Cependant on remarque que dans ce passage les principes défendus par B sont contraires à ce qu'il a valorisé dans tout le reste du livre. Par exemple après avoir fait l'éloge de la sincérité, il dit maintenant qu'il faut s'adapter à la situation : « Prendre le froc du pays où l'on va, et garder celui du pays où l'on est. » B en tant que philosophe des Lumières, fait preuve de pragmatisme et propose d'adopter des comportements qui visent à préserver l'harmonie de la société : « Et surtout être honnête et sincère jusqu'au scrupule avec des êtres fragiles qui ne peuvent faire notre bonheur sans renoncer aux avantages les plus précieux de nos sociétés. » B fait preuve de conservatisme en invitant au respect des lois existantes tant qu'on ne peut les changer alors qu'il a argumenté dans tout le reste du dialogue pour démontrer que celles-ci contrariaient la nature et rendaient l'homme malheureux.

III) Une leçon de philosophie

Le statut social de la femme et son rôle dans la société sont des thèmes centraux dans le Supplément au voyage de Bougainville : « Toujours les femmes ; on ne saurait faire un pas sans les rencontrer à travers son chemin. ». Diderot, en adoptant le point de vue des femmes, notamment dans l’épisode de Polly Baker, se positionne d'une manière extrêmement novatrice voire révolutionnaire. De plus, la réplique finale amusante pour le lecteur souligne la dimension ludique de ce texte. Le fait que le dialogue entre A et B encadre le récit sur Tahiti présente du coup celui-ci comme une utopie. Ainsi Diderot donne à son Supplément au voyage de Bougainville la double fonction d'instruire et de divertir son lecteur.

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    Supplément au voyage de Bougainville, de Denis Diderot, fait référence au voyage de l'explorateur Bougainville en Océanie. Ce texte soulève le problème du colonialisme et célèbre la vie sauvage par rapport à l'homme civilisé, ici dénigré.

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    Le Supplément au Voyage de Bougainville, ou Dialogue entre A et B sur l'inconvénient d'attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n'en comportent pas, est un conte philosophique de Denis Diderot écrit en mai 1772 [1].

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    Denis Diderot. Supplément au voyage de Bougainville , Texte établi par J. Assézat et M. Tourneux , Garnier , 1875 , II ( p. 193 ). Voyage autour du monde par la frégate la Boudeuse. SUPPLÉMENT. au. VOYAGE DE BOUGAINVILLE. ou. DIALOGUE ENTRE A. ET B. sur l'inconvénient d'attacher. des idées morales à certaines actions physiques.

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  10. SUPPLÉMENT AU VOYAGE DE BOUGAINVILLE

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  11. Diderot, « Supplément au voyage de Bougainville » (1772)

    Réflexion sur les réactions d'un Tahitien que Bougainville ramena en France : celui-ci s'y est ennuyé, et juge fous les Européens : transition (è cf. Montaigne : Les Cannibales) Présentation du Supplément : on annonce la lecture de ce livre, et en particulier les adieux du vieillard. Chapitre II (p. 147-153)

  12. Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville

    Le Supplément au voyage de Bougainville est un conte philosophique écrit par Denis Diderot en 1776. Il a été publié pour la première fois en 1796 dans un recueil d'opuscules, la plupart posthumes ou inédits. Le texte se présente comme une suite au Voyage autour du monde de Louis-Antoine de Bougainville et fait partie d'un triptyque ...

  13. Supplément au voyage de Bougainville

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  14. Résumé du Supplément au voyage de Bougainville de Diderot

    Dans la suite du Supplément au voyage de Bougainville, Denis Diderot donne la réplique à un vieillard indigène qui reproche aux habitants de l'île d'être tristes du départ des Français. En tant que figure de sagesse, les propos du vieillard sont forts. Il considère les voyageurs comme des envahisseurs.

  15. Diderot

    Diderot - Supplément au voyage de Bougainville - Littératurefrançaise.net. Supplément au voyage de Bougainville. Bougainville boucle le premier tour du monde français en 1769, et publie son journal de bord en 1771.

  16. L'aumônier et Orou

    Supplément au voyage de Bougainville. L'aumônier et Orou. Explorer. Voyages et explorations. L'aumônier et Orou. Fille tahitienne portant des présents au roi. Dans la division que les Taïtiens se firent de l'équipage de Bougainville, l'aumônier devint le partage d'Orou.

  17. Supplément au voyage de Bougainville

    Denis Diderot. Michel Delon (Éditeur scientifique) EAN : 9782070426256. 190 pages. Gallimard (17/09/2002) ★★★★★. 3.34 /5 722 notes. Résumé : Les Tahitiennes sont fières de montrer leur gorge, d'exciter les désirs, de provoquer les hommes à l'amour. Elles s'offrent sans fausse pudeur aux marins européens qui débarquent d'un long périple.

  18. Supplément au voyage de Bougainville

    Background. Bougainville, a contemporary of Diderot, was a French explorer whose 1771 book Voyage autour du monde ( A Voyage Around the World) provided an account of an expedition that took him to Argentina, Patagonia, Indonesia, and Tahiti.

  19. Voyage autour du monde

    Le Voyage de Bougainville marque une étape importante dans la littérature maritime et philosophique du Siècle des Lumières.

  20. Analyse du Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot

    19. février 2022. Analyse du Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot. Chapitre I, Fin du dialogue entre A et B. I) Le regard de l'autre. a) A donne à voir le point de vue des Européens. Le personnage A représente le point vu des Européens, face à ce que dit B qui représente le point de vue de Bougainville.

  21. PDF Supplément au voyage de Bougainville

    Par cet artifice littéraire, Diderot inscrit le Supplément au Voyage de Bougainville dans la continuité de Mme de La Carlière (cf. cette oeuvre dans la bibliothèque des Classiques des Sciences Sociales). 2Le Voyage autour du monde de Bougainville a été publié en 1771. Diderot s'en inspire librement. Bougainville avait fait le tour du . - 4 - .

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    Supplément au Voyage de Bougainville - Poche - Denis Diderot - Achat Livre ou ebook | fnac. Accueil. Livre. Supplément au Voyage de Bougainville. Denis Diderot (Auteur) Paru le 8 avril 2021 Scolaire / Universitaire (Poche) Supplément au Voyage de Bougainville. 5. 2 avis - 36 sur les autres formats. Questions et réponses. Feuilleter. Format : Poche.